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Le rôle de la confiance dans la performance collective
Texte de la conférence faite par Jean-Yves PRAX
pour l’ouverture du KMForum
Posté sur : le vide poches / planning stratégique
Posté par : jérémy dumont
Source : polia consulting
La confiance est un facteur déterminant de la performance collective et en particulier dans le cas des communautés virtuelles ou/et d’équipes dont la production est à forte intensité immatérielle. Même si, d’expérience ou d’intuition, nous partageons tous cette conviction, les mécanismes de création de la confiance restent énigmatiques et peu maîtrisables : la confiance, qu’est-ce que c’est ? comment la créer ? A quelle rationalité obéit-elle ?
Analyser la confiance, c’est aborder l’un des aspects les plus délicat du fonctionnement d’une communauté.
La confiance, qu’est-ce que c’est ?
La littérature sur le sujet est abondante et les définitions très diverses et variées, par exemple :
La perspective rationnelle se définit comme « une attente sur les motivations d’autrui à agir conformément à ce qui était prévu dans une situation donnée ». Elle considère l’individu comme un acteur rationnel, prévisible, et sa rationalité est confortée par le fait que ses choix et ses actes sont gagnants, utiles. Cette définition de la confiance, largement présente dans le monde professionnel, a des avantages et des limites.
La théorie de la rationalité en économie voudrait que les choix individuels s’appuient sur des raisonnements utilitaires :
Dans la vraie vie, cette rationalité n’existe pas ! En effectuant leurs choix les hommes n’obéissent pas aux lois bayésiennes de la décision :
La perspective sociale considère qu’un individu n’est pas évalué uniquement par ses résultats mais aussi en tant qu’acteur social ; il peut conforter les prévisions ou de les décevoir, à condition qu’il le fasse dans le respect de ses obligations morales et d’un certain nombre de codes.
Une intentionnalité limitée au champ d’interaction
Comme nous le constatons, le champ d’investigation est immense, mais on peut singulièrement le réduire si l’on accepte l’hypothèse d’une confiance limitée au domaine d’interaction ; je m’explique : lorsqu’on fait confiance à une autre personne, ce n’est pas dans l’absolu, c’est dans un domaine précis, qui est le champ d’interaction prévu ; ainsi une jeune adolescente qui accepte de sortir au cinéma avec son ami lui fait confiance par rapport à un certain nombre de critères ; ces critères ne sont pas les mêmes que ceux qui dicteront le choix du futur directeur général d’une firme internationale, ou encore d’un guide de haute montagne.
Nous nous limiterons ici à une analyse de la confiance dans un environnement professionnel (même si cette limite ne supprime pas complètement les facteurs affectifs et moraux, loin s’en faut), et principalement dans le champ de l’action collective au sein d’une communauté : travail en équipe, partage de connaissance, mutualisation de compétence, décision collective, process
Si l’on prend soin de distinguer la confiance de l’affinité, alors on devine que, dans un groupe de travail ou une équipe, la confiance est en forte interaction avec la compétence : chaque membre fait confiance à un individu pour sa capacité à
Alors la question devient : « comment créer dans une équipe les conditions de la confiance mutuelle ? »
Comment créer la confiance ?
L’approche de la compétence que propose R. Wittorski [2] nous renseigne sur le processus de création de confiance au sein d’un groupe ; selon lui, la compétence s’élabore à partir de cinq composantes :
L’effet Pygmalion
Nous opterons pour une approche mixte, à la fois rationnelle,
sociale et affective de la confiance, c’est à dire l’ensemble des
facteurs permettant la collaboration entre les membres d’une équipe,
basées sur le respect mutuel, l’intégrité, l’empathie, la fiabilité.
Les cinq composantes citées ci-dessus sont à la fois l’image de soi
même, -et l’image de soi vu à travers le regard des autres. Le groupe
agit comme un miroir grossissant ; en psychologie, on appelle cela
l’effet Pygmalion : "La prédiction faite par un individu A sur un
individu B finit par se réaliser par un processus subtil et parfois
inattendu de modification du comportement réel de B sous la pression
des attentes implicites de A".
Il s’agit d’un mécanisme amplificateur en boucle : un jugement négatif de A casse la confiance de B en lui même, ce qui se voit et a pour effet de renforcer A dans son jugement négatif initial [3].
La confiance dans le partage de connaissances
Au cours de nos missions de Knowledge Management, nous avons pu interroger un certain nombre de professionnels de tous niveaux sur la question : « qu’est-ce qui favorise (ou empêche) le partage de connaissance dans un groupe de travail ? » Tous ont spontanément insisté sur le caractère primordial de la confiance dans une équipe et ils ont précisé les facteurs susceptibles de la créer :
1. Réciprocité (jeu gagnant-gagnant) J’accepte de donner mes idées, mon ingéniosité, mon expérience au groupe, mais j’attends que les autres membres en fassent autant ; chacun veille à respecter un équilibre en faveur d’une performance collective. Ce mécanisme de surveillance exclut le « passager clandestin », c’est à dire celui qui à l’intention de recueillir les fruits du travail du groupe sans y avoir vraiment contribué.
2. Paternité (identité, reconnaissance) J’accepte de donner une bonne idée à mon entreprise, et de voir cette dernière transformée en une innovation majeure ; mais je ne tolèrerais jamais de voir l’idée signée du nom de mon chef à la place du mien. Il s’agit d’un fort besoin de reconnaissance de la contribution d’un individu au sein d’un groupe.
3. Rétroaction (feed-back du système) L’erreur est la première source d’apprentissage ; à condition d’avoir un feed-back du système.
L’enfant apprend par un processus répétitif de type essai-erreur-conséquence :
Dans un groupe, l’erreur doit être admise, c’est un signe très fort de la confiance et du fonctionnement effectif du groupe. En revanche on ne devrait jamais laisser quelqu’un la dissimuler.
4. Sens (unité de langage, de valeurs) Une connaissance strictement personnelle ne peut être partagée que par l’utilisation d’un code et d’une syntaxe connue d’un groupe social, qu’il soit verbal ou non verbal, alphabétique ou symbolique, technique ou politique En faisant partie de la mémoire collective, le langage fournit à chaque individu des possibilités de son propre développement tout en exerçant un fort contrôle social sur lui. Ainsi, le langage est à la fois individuel, communicationnel et communautaire.
Mais ce n’est pas tant un problème de traduction que de sens : dans une conversation, deux interlocuteurs peuvent arriver à partager des mêmes points-de-vue s’ils établissent un processus de coopération : écoute active, participation, questionnement, adaptation sémantique, feed-back, reformulation. En effet, si le mot, comme symbole collectif, appartient à la communauté linguistique et sémantique, le sens qu’il recouvre est purement individuel car il est intimement lié à l’expérience et à l’environnement cognitif dans lequel se place l’individu.
La confiance, une construction incrémentale
Les auteurs et nos expériences s’accordent sur la nature incrémentale du processus de construction de la confiance ; dans certains domaines commerciaux, par exemple, on dit « il faut 10 ans pour gagner la confiance d’un client, et 10 minutes pour la perdre ! ».
Cette notion est largement étayée par le modèle de Tuckman qui voit quatre état chronologiques (ontologiques) majeurs dans le développement d’un groupe : formation, turbulence, normalisation, performance[4]
La confiance se construit, puis se maintient ; alors qu’il est difficile de distinguer un processus standard de construction de la confiance, en revanche, il semble qu’un modèle en 5 composantes puisse rendre compte de son maintien : instantanée, calculée, prédictive, résultat, maintien.
La confiance instantanée
A l’instant même de la rencontre, un individu accorde à l’autre un
« crédit de confiance » ; c’est un processus instantané mais limité,
peu fondé ni étayé, donc fragile, sous haute surveillance ; une sorte
de confiance sous caution. C’est ce qui permet à des gens qui sont
parachutés dans des groupes temporaires de pouvoir travailler ensemble,
par exemple dans les équipes de théâtre ou de production
cinématographique, dans les équipages d’avion, dans les staffs
médicaux, etc.
Cette confiance se base principalement sur deux facteurs :
Ce type d’équipe se met très vite au travail et devient performant sans passer par les longues et progressives étapes de maturation.
La confiance calculée Cette étape est franchie lorsque les acteurs attendent qu’une collaboration apporte un certain bénéfice. La confiance trouve alors sa source dans la conformité ou non de l’exécution d’une tâche collaborative particulière ; par exemple, la confiance d’un client dans une entreprise générale qui construit sa maison peut être assortie de mécanismes de contrôle et de clauses de pénalités de façon à maîtriser des dérives ou des comportements opportunistes.
L’une des façons de créer un climat de confiance est de mettre en place des procédures, comme la définition des rôles et responsabilités, des mécanismes de reporting, etc.
La confiance prédictive
Dans le process prédictif, la confiance est largement basée sur le
fait que les acteurs se connaissent bien : ils se basent sur le
comportement passé pour prédire le comportement à venir. Les acteurs
qui n’ont pas la possibilité d’avoir des relations ou expériences
communes réclameront des séances d’entraînement, des réunions ou
d’autres dispositifs leur permettant de mieux se connaître.
La confiance basée sur le résultat
Dans ce mécanisme, la confiance est basée sur la performance de
l’autre. Au départ, cette confiance dépend des succès passés ; elle
sera encore renforcée si l’autre accomplit sa tâche avec succès, et
rompue si des problèmes sont rencontrés. Ce mécanisme est
particulièrement important dans les communautés virtuelles où les
acteurs ne se connaissent pas, ne peuvent pas voir comment les autres
travaillent ; ils ne peuvent juger que sur le résultat : délai, qualité
des produits
La confiance intensive
Finalement la confiance intensive suppose que les deux parties
identifient et acceptant les objectifs, finalités et valeurs de l’autre.
La confiance dans les communautés virtuelles
Le texte ci-dessous est le résultat d’une expérience menée avec quatre groupes d’étudiants devant effectuer une travail commun à distance en utilisant des outils de groupware et de visioconférence.
L’expérience a montré que la confiance jouait un rôle primordial dans la qualité du travail collaboratif et que l’usage d’un outil présentait de nombreux risques de sérieusement l’entamer, voire la détruire. Un certain nombre de comportements ont été révélés comme porteurs de danger :
Bien entendu on se doute que ce genre de comportement n’est pas fait pour améliorer la confiance, mais il se trouve que l’usage d’un outil les rend davantage possibles qu’une interaction physique. En effet, dans une conversation face-à-face, il se produit des sortes de micro-boucles qui ont la vertu de désamorcer des conflits par une meilleure compréhension des points-de-vue de chacun. La plupart des crises sociales sont des crises du langage et du sens.
Facteurs établissant/diminuant la confiance dans un groupe
La confiance est renforcée quand :
+ : la communication est fréquente, les membres sont bien informés et partagent leurs compréhensions
+ :Les messages sont catégorisés ou formatés, ce qui permet aux récepteurs une économie de temps
+ :Les tâches, rôles et responsabilités sont bien définis, chaque membre connaît ses propres objectifs
+ :Les membres tiennent leurs délais et leurs échéances
+ :Il y a un esprit positif permanent, chaque membre reçoit des encouragements et un feed-back
+ :Les membres s’entraident mutuellement
+ :Les attentes personnelles et celles du groupe ont été clairement identifiées
+ :Les membres ont le même niveau d’engagement
+ :La performance est élevée
Ces facteurs contribuent à une performance du groupe élevée ou faible, qui elle-même contribue par une boucle de retour à la motivation des acteurs pour coopérer. On peut parler d’une véritable spirale de la confiance.
La spirale de la confiance
A partir des différents éléments cités ci-dessus, on peut donc évoquer un processus cumulatif, une sorte de spirale, qui peut être positive ou négative :
En sens opposé, on peut vite imaginer comment se crée un « processus contre-productif » où la dimension sociale d’un groupe joue dans le sens contraire de la compétence individuelle et finit par démotiver complètement la personne. En d’autres termes, si on oppose une personne compétente à un système déficient, le système gagne à tous les coups.
La compétence individuelle, 6ème facteur de performance collective
Dans cet esprit, une étude nord-américaine a démontré que la compétence individuelle n’intervenait qu’en sixième position comme facteur de performance collective ; les spécifications des produits, le système organisationnel, les feed-back du système aux actions étant des préalables à l’efficacité collective.
Cela tend à montrer que les dispositifs de formation professionnelle sont certes nécessaires, mais qu’il peuvent être très dispendieux s’ils ne s’inscrivent pas dans une démarche globale, incluant une refonte des organisations (modes de fonctionnement de l’équipe, management), du système d’évaluation et de reconnaissance (objectifs, réalisation, évaluation de la performance), des processus (modélisation des tâches et des compétences), des spécifications produits.
Les conventions du travail collaboratif
Revenons à nos équipes virtuelles ; il semblerait qu’un certain nombre de conventions ou protocole favorisent l’établissement d’un niveau de confiance suffisant pour un travail collaboratif efficace. Ces conventions se regroupent en cinq catégories :
Catégorie : Intégrité
Caractéristiques : honnêteté, éthique, loyauté, respect, fiabilité et engagement
Facteurs et comportements : être honnête, tenir ses engagements,être réactif,
être droit et loyal, être fiable
Catégorie : Habilitation
Caractéritiques : savoirs, savoir-faire, compétences individuelles et
collectives
Facteurs et comportements : mettre en application avec succès les
savoirs, compétences, partager les expériences, les bonnes pratiques
Catégorie :Ouverture
Caractéristiques : volonté de partager des idées et des informations, intérêt aux autres, apprendre des erreurs
Facteurs et comportements : informer les autres,partager librement
les idées et les informations, être curieux,donner un feed-back
positif,reconnaître ses erreurs
Catégorie : Charisme
Caractéristiques :empathie, envie de bien faire, bonne volonté, générosité
Facteurs et comportements : s’entraider,être amical, être
courtois,avoir de la considération,rester humble,savoir apprécier le
travail des autres
Catégorie : Attentes
Caractéristiques : bénéfice potentiel, cohérence, évaluation
Facteurs et comportements : être à l’écoute des attentes,
rechercher un consensus ou des compromis, rester cohérent sur les
attentes
Ce qui est important dans cette énumération de facteurs, c’est qu’ils n’ont pas tous la même importance par rapport au processus cumulatif de construction de la confiance :
Conclusion : le rôle de la confiance dans la connaissance collective Une fois admis que la subjectivité, l’affectif, l’émotion, gouverne nos représentations individuelles, on conçoit que le processus de construction collective d’une représentation passe nécessairement par une étape de mise en commun des perceptions, de confrontation, de négociation et de délibération de ces différentes subjectivités. Ce processus nécessite des qualités humaines d’empathie, de « reliance[5] » davantage que des capacités d’analyse.
En ce sens, l’organisation n’est pas tant un système de « traitement de l’information » mais bien de « création de connaissance collective ». C’est là que réside l’enjeu humain du Knowledge Management.
Du Knowledge Management au knowledge enabling Partant de ces considérations sur la nature de la connaissance, profondément engrammée dans l’individu en tant que sujet, on peut en déduire qu’on ne manage pas la connaissance, comme on manage un objet ; le terme Knowledge Management, que j’utilise volontiers, est en fait un abus de langage ; tout au plus peut on manager les conditions dans lesquelles la connaissance peut se créer, se formaliser, s’échanger, se valider, etc. Les anglo-saxons parleraient de knowledge enabling.
Cela permet également d’introduire une précision fondamentale : le management de la connaissance collective est avant tout une problématique de flux ; ce qui est important c’est de manager les transitions entre tous les états de la connaissance : tacite, implicite, explicite, individuel, collectif, etc. Tous les outils du KM (socialisation, formalisation, médiatisation, pédagogie) doivent se focaliser sur l’optimisation de ces flux de transition.
[1] « un mort c’est un drame, dix morts c’est un accident, mille morts c’est une statistique »
[2] R. Wittorski, De la fabrication des compétences, Education permanente, n°135, 1998-2
[3] L’auteur souligne que l’effet Pygmalion joue à plein régime dans les classes de 6ème à terminale ; à partir de son attitude pendant les cinq premières minutes du premier cours de l’année, un professeur peut littéralement casser un élève ou le rendre passionné.
La confiance, c’est qui, quoi, quand, combien, où, qui, pour quoi, comment ? source
La confiance