Le dirigeant d'un groupe renommé s'étonnait auprès de moi de la faiblesse d'un niveau hiérarchique clé sur une de ses zones.
Dans la zone en question, une douzaine de directeurs régionaux se partagent le territoire. Les performances plafonnent. Neuf des douze régionaux sont dépassés par leur poste, et aucun des trois meilleurs n'est exceptionnel. Ils étouffent si bien les collaborateurs performants qu'il est très difficile de leur trouver des successeurs. Le dirigeant de cette zone est dans de beaux draps, indélogeable et irremplaçable.
Au total, cette entreprise pourrait sans doute en fouillant tout l'organigramme trouver quatre ou cinq très bons directeurs régionaux. Il n'était pas venu une seconde à l'esprit de mon interlocuteur qu'il pouvait confier de plus grandes régions à ces quatre ou cinq très bons. Ou plutôt si, il l'avait imaginé un instant. Mais pas question pour lui de déplaire au monstre hideux de l'organigramme plat qui régnait en maître chez lui.
Voilà une croyance : plus l'organigramme est plat, plus les chaînes de décision sont courtes, donc efficaces. Et plus chacun a de collaborateurs directs, plus il mérite son salaire.
Cela peut marcher. Mais en faire une règle, c'est oublier ce qui fait la performance d'une entreprise.
La relation hiérarchique entre deux dirigeants est un monde à elle toute seule. Elle peut être intense, libre et productive. Elle repose alors sur un pacte puissant, qui dans le meilleur des cas reste au service du seul dirigeant ultime, le No1. Pour le savoir, il suffit d'observer ce qui se passe lorsque les résultats déçoivent : une relation forte se nourrit de ces occasions de travail et de découverte. Le début et la fin de la relation en disent long. Le temps passé à produire à deux aussi. Une telle relation est toujours source de croissance pour N comme pour N-1, ce qui permet ensuite à chacun d'évoluer dans l'organisation. Elle donne l'exemple et se reproduit de proche en proche.
Lorsque les relations verticales sont de cette qualité, peu importe le nombre de maillons : la chaîne de décision tient le choc, les engagements sont forts et les informations ne sont pas censurées. Les objectifs communs prévalent sur les plaisirs individuels, et chacun progresse au service de l'entreprise et de son No1. Dans ce cas, l'organigramme ne peut pas être plat : essayez donc de gérer douze relations hiérarchiques intenses et productives, en plus des contrôles de sécurité dans les aéroports et de tout le reste.
Dans la vraie vie, peu de relations verticales sont de ce niveau. Et moins ces relations sont performantes, plus les organigrammes sont plats. C'est la poule et l'oeuf, sans qu'on sache comment ça a commencé. Et c'est là que les effets sont dévastateurs. Un seul manager déficient dans ses relations verticales coupe ses dix ou douze N-1 de toute l'entreprise. Et il est rarement seul.
Vous allez me dire "Mais c'est simple, il suffit d'aplatir les organigrammes là, et seulement là, où les managers sont performants !". Peut-être. Mais un manager gérant des relations verticales très productives hésitera à diriger plus de dix collaborateurs, et le plus souvent se limitera à cinq à dix N-1 qui seront quasiment de son niveau. On peut prendre cela par tous les bouts, pas moyen de dessiner un organigramme plat avec d'excellents dirigeants à tous les étages. Tout organigramme plat devrait faire suspecter une faible qualité des liens de travail verticaux, et donc une performance dégradée de l'ensemble.
Vous pouvez diriger 100 000 personnes avec six niveaux de six ou sept collaborateurs. Faites le calcul. Aussi étonnant que cela paraisse, doubler ce nombre moyen de collaborateurs gérés ne va vous "aplatir" le tout que d'un seul niveau hiérarchique. Et pourquoi faire ? Ce sont les maillons faibles qui mineront l'organisation, et quoi qu'on fasse ils seront nombreux. Autant leur confier moins d'hommes... et laisser les meilleurs développer leurs collaborateurs en investissant sur eux le coeur et l'énergie qui les rendront plus forts.