La jeune femme nous tourne le dos. Elle semble au-delà, déjà absorbée par le désir d’espace et de liberté. Aux marges, quelques traces de matérialité, l’horizon d’une ville en contrebas qu’elle semble vouloir dépasser. Elle est au bord de quelque chose. Se détacher du poids du monde, de ses contraintes physiques, atteindre la grâce, l’immatérialité… C’est une publicité de Zadig & Voltaire qui illustre parfaitement le positionnement de la marque. Je dirai l’esprit dans lequel elle « s’envole » ou « s’enfonce ». C’est selon.
Une marque n’a de valeur que si elle satisfait les deux hémisphères de notre cerveau. Le pragmatisme et l’imaginaire. Personne n’a jamais acheté une idée ou un concept lorsqu’il se fait l’acquéreur d’une paire de chaussures. La fonction première de la marque est de donner des informations et des garanties sur des éléments transactionnels, prix, qualité, origine… Pourtant le produit n’a pas de sens, il n’a que des attributs. Ce sont les valeurs, les associations et les évocations qui le sémantisent et lui donnent sa place dans le récit de notre vie. Ce fameux récit qui donne un sens à nos vies ou plus simplement nous permet de survivre. Les produits que nous achetons au supermarché en font partie. (Lire à ce sujet Baudrillard). La force d’une marque réside dans l’équilibre entre ces deux valeurs : le tangible et l’intangible.
Mais Zadig & Voltaire a perdu l’équilibre. L’idée de la marque est la création d'un « luxe abordable », une manufacture à éditer du design. Le style, sans être précurseur, est en parfaite adéquation avec un certain récit contemporain (je ne ferai pas l’analyse de la marque, ce n’est pas le sujet). L’idée est forte, le positionnement judicieux, le style intéressant, mais la qualité des produits, l’attention portée à la fabrication, au choix des matériaux, aux finitions ne sont pas à la hauteur des ambitions. On ne perçoit tout simplement pas cette qualité essentielle qui fait la force d’une marque ; l’amour du produit. Comme elle l’exprime ouvertement à travers sa campagne publicitaire, la marque est ailleurs, dans d’autres sphères, plus abstraites, comme dans une volonté de se dégager des aspects les plus ingrats de l’acte marchand.
Mais cette tendance n’est pas spécifique à Zadig & Voltaire, beaucoup de marques de prêt à porter affichent aujourd’hui cette faiblesse. Pourquoi ? Urgence des collections, manque d’implication, démotivation, docilité des clients, trop d’appétit pour les marges ? Promenez-vous dans les magasins et vous constaterez ce déni de réalité. Outre que tous les modèles sont peu où prou similaires, le rapport qualité-prix frise l’insupportable. Zadig & Voltaire a ceci d’intéressant et de particulier, c’est qu’à travers sa campagne publicitaire il révèle inconsciemment la réalité d’un secteur. Tourner le dos à ses clients...