Dans le cadre d'un PSE, c'est à l'employeur, et non au groupe auquel il appartient, de safisfaire à son obligation de reclassement de salariés menacés de licenciement.
Quelle est l’étendue des obligations des sociétés appartenant à un groupe lorsque l’une de leurs filiales ou l’une de leurs sociétés sœurs procède à un licenciement économique ? Telle est la question que l’on se pose depuis que la jurisprudence, dès 1995 (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690), puis la loi à partir de 2002 (L. n° 2002-73 du 17 janvier 2002), impose le groupe comme cadre de l’obligation de reclassement préalable à tout licenciement économique.
Dans un arrêt du 13 janvier, qui sera publié dans son rapport annuel, la Cour de cassationtranche la question : « L’obligation de reclasser les salariés dont le licenciement est envisagé et d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi répondant aux moyens du groupe n’incombant qu’à l’employeur, une société relevant du même groupe n’est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de ce dernier ».
Le groupe, cadre de l’obligation de reclassement
S’il est clair que l’employeur qui licencie doit déployer les plus sérieux efforts pour rechercher des postes pouvant convenir aux salariés dont il est obligé de se séparer (Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 04-48.583), si l’on a la certitude qu’il doit explorer toutes les possibilités dans le groupe, y compris à l’étranger, si l’on a conscience qu’il faut une recherche effective des postes disponibles (Cass. soc., 17 octobre 2001, n° 99-42.464) et que l’effort, qui doit être réel, doit se manifester par des propositions concrètes de reclassement au salarié licencié (Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 98-44.628), on ignorait jusqu’ici ce qu’on pouvait exiger des filiales ou sociétés sœurs sollicitées.Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 13 janvier, une société française, appartenant à un groupe agroalimentaire de droit italien spécialisé dans la fabrication des chips, a été placée en liquidation judiciaire. Le liquidateur a établi un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui, par ordonnance de référé, a été jugé insuffisant. À la suite de ce jugement, le liquidateur judiciaire a engagé devant le tribunal de grande instance une action contre les sociétés du groupe entrant dans le périmètre de reclassement « pour qu’elles lui fournissent les moyens d’établir un PSE satisfaisant aux exigences légales ».
La société San Carlo, qui gère, entre autres, la marque Flodor, fait partie des sociétés contre lesquelles le liquidateur s’est retourné. De leur côté, les salariés licenciés ont obtenu la saisie conservatoire de la marque Flodor, appartenant autrefois à la société qui a fait faillite.
Le groupe pris en compte pour l’appréciation du PSE
La cour d’appel de Paris s’est montrée sensible au dilemme auquel était confronté le liquidateur judiciaire, tenu d’établir et de mettre en œuvre un PSE en fonction des moyens du groupe, mais ne pouvant mobiliser ces moyens, car ne disposant d’aucun pouvoir sur les autres sociétés. Aussi a-t-elle décidé de faire droit à la demande des salariés en leur reconnaissant une créance indemnitaire sur les autres sociétés, en particulier la société San Carlo, qui paraissait la plus à même de répondre aux sollicitations du liquidateur.D’après la cour d’appel, faute de l’avoir fait, la société San Carlo devait réparer le préjudice des salariés licenciés. Elle s’est appuyée pour cela sur l’article L. 1235-10 du Code du travail qui énonce que « la validité du PSE est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ou l’unité économique et sociale ou le groupe ». Elle en a déduit que cet article créait nécessairement une obligation pesant sur les différentes sociétés du groupe.
Les salariés ne sont créanciers que de leur employeur
Mais la Cour de cassation prend le contre-pied de la cour d’appel : « L’obligation de reclasser les salariés dont le licenciement est envisagé et d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi répondant aux moyens du groupe n’incombe qu’à l’employeur. Il en résulte qu’une société relevant du même groupe que l’employeur n’est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de ce dernier d’une obligation de reclassement et qu’elle ne répond pas, à leur égard, des conséquences d’une insuffisance des mesures de reclassement prévues dans un plan de sauvegarde de l’emploi ». L’arrêt d’appel est donc cassé.La décision de la cour d’appel de Paris portait en elle sa propre contradiction, puisqu’elle condamnait une société sœur pour manquement à une obligation, tout en reconnaissant que l’employeur ne disposait d’aucun moyen de pression sur les autres sociétés.
Le groupe ne peut être l’employeur
Or, dans l’état actuel des textes, il n’existe qu’un seul débiteur des obligations créées par le Code du travail, c’est l’employeur, et cet employeur ne peut être le groupe, celui-ci n’ayant pas la personnalité juridique. L’entreprise ayant conclu le contrat de travail avec le salarié reste donc seule responsable de l’exécution des obligations découlant de ce contrat, et ce même si elle fait partie d’un groupe ou d’une UES (unité économique et sociale). Il en a déjà été jugé ainsi pour le paiement du salaire : « Le salarié d’une entreprise, ferait-elle partie d’un groupe, ne peut diriger une demande salariale que contre son employeur » (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-40.331).Ce principe vaut bien évidemment, à défaut de texte contraire, pour d’autres obligations légales, dont celles pesant sur l’employeur en cas de licenciement.
Pour mettre en cause d’autres sociétés du groupe, il faudrait être en mesure de démontrer qu’elles ont la qualité de coemployeurs ou encore que l’entreprise qui licencie n’a que l’apparence de l’employeur, le véritable « patron » se trouvant ailleurs, ce qui n’était pas ici le cas.
La solution de la Cour de cassation est juridiquement imparable, mais celle de la cour d’appel avait le mérite d’assurer l’effectivité du droit. Malgré toute l’innovation dont peuvent faire preuve les tribunaux, le reclassement à l’intérieur du groupe risque de rester lettre morte tant que le législateur ne sera pas intervenu.
- Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-15.776 FS-PB
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