Les risques sont aujourd’hui de toutes natures :
Risques financiers, tout d’abord.
Pour la première fois depuis très longtemps, une crise financière a un impact direct sur l’ « économie réelle ». Souvenons-nous seulement du krach boursier d’octobre 1987 qui, par son ampleur, avait nourri beaucoup d’inquiétudes …et, in fine, n’avait quasiment pas affecté la production et les échanges.
Le monde a donc changé. Et pourtant, aussi inédite soit-elle, la crise n’aura en rien bouleversé le fonctionnement d’un système bancaire manifestement peu conscient de la responsabilité sociétale qui pèse maintenant sur lui. Malgré la vigilance accrue attendue des banques, leurs activités de marché ne sont pas porteuses de moins de risques qu’auparavant.
Pire encore : après avoir été la source des errements que l’on connaît, la sphère financière s’est aujourd’hui suffisamment développée pour s’ériger, à travers les notations des agences spécialisées, en juge de la rigueur des politiques publiques mises en place dans l’urgence.
La boucle est bouclée, et la crainte a changé de camp. Les marchés financiers, durablement protégés de toute initiative nationale, n’ont plus pour seule inquiétude que celle du défaut de paiement d’un Etat. Et cette inquiétude s’étend : de la Grèce au Portugal et à l’Irlande, puis à l’Espagne et à l’Italie. Aujourd’hui, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas mais aussi la France voient augmenter leur « prime de risque » sur les marchés. En d’autres termes, le montant déjà lourd des intérêts de la dette dont ils doivent s’acquitter au titre de leur dette publique, et qui creuse encore leurs déficits budgétaires, risque bel et bien de s’accroître un peu plus.
Certes, l’action publique « à chaud » sur les marchés est par nature difficile : la réaction des acteurs est bien souvent l’inverse de celle escomptée, puisque …les remèdes constituent autant d’aveux du problème ! Pour autant, on ne peut se satisfaire que les moyens d’action publics soient désormais aussi limités, et pour si longtemps.
Aux risques financiers s’en ajoutent d’autres :
- risques économiques : à l’accroissement inévitable des taux d’intérêt pourraient bien s’ajouter les effets de plans d’austérité budgétaires mis en place dans l’urgence sous la pression des marchés. Car la reprise, à la différence d’autres cas, est lente et fragile. Comment imaginer que les plans mis en place ne produisent pas, ici ou là, un effet récessif sur la consommation et l’investissement ?
- risques sociaux, dans le cas où se prolongerait, sous le poids des contraintes imposées, l’anémie des grandes économies européennes. Qui peut prétendre mesurer par avance la résistance des populations à une situation largement inédite ? Les événements survenus en Grèce donnent pleinement la mesure du risque.
- risques politiques, enfin, de voir les fractions de la population les plus fragilisées par les mesures de rigueur refuser les logiques ainsi imposées aux seules autorités sur lesquelles elles ont prise – leurs représentations démocratiques – et se tourner vers des options politiques extrêmes.
Face à ces risques, il est vain de désigner des boucs émissaires parmi les innombrables acteurs de nos économies, du « spéculateur » à l’agence de notation. Ni l’un, ni les autres, ne sont à l’origine des dysfonctionnements qui nous ont menés à l’impasse actuelle. Quant à l’observation, parfois lue, selon laquelle les flux financiers ayant une contrepartie réelle ne constituent plus que 2 % des échanges, cette réalité ne peut être tenue, en soi, pour une anomalie.
Et le temps presse. La lenteur de la reprise ne doit pas faire illusion. Des positions ont été gravement affaiblies, beaucoup d’acteurs ont perdu en quelques années des sommes considérables : tous auront un fort besoin, dès qu’un consensus sera atteint sur la réalité de la reprise, d’en toucher rapidement les dividendes. Les prochaines bulles sont pour bientôt. Elles seront à la mesure des pertes enregistrées.
La situation appelle donc une nouvelle gestion des économies européennes :
- plus réaliste : comment ne pas voir que cette crise n’est pas la dernière ? Que les mesures prises doivent être fortes et durables – à commencer, bien entendu, par la pérennisation indispensable du fonds de soutien européen et l’affirmation de sa vocation à cautionner solidairement les engagements de tous les Etats membres sans exception ?
- plus coopérative : les divergences intra-européennes nourrissent l’inquiétude des acteurs et menacent les équilibres financiers ; des signaux concertés limiteraient la pression des marchés dans l’intérêt de l’économie européenne tout entière.
- plus cohérente : pourquoi ne pas imaginer, sous l’autorité du Président de l’Union, une structure consultative permanente d’étude et de coopération macro-économique, émettant ses avis publiquement et régulièrement afin d’aider à faire émerger des consensus sur les équilibres budgétaires, fiscaux et monétaires optimaux ?
- plus rapide, enfin : l’échelle de temps de la décision politique est aujourd’hui trop éloignée de celle des marchés. Et chaque pas en avant dans la construction d’une Europe plus efficace suppose de résoudre les questions de constitutionnalité soulevées dans chaque pays. Le moment est venu de tirer de ce décalage les conclusions institutionnelles. Le mot « urgence » doit entrer dans le vocabulaire européen. D’urgence.