Par un arrêt capital du 26 octobre 2010 promis au plus bel avenir médiatique (n° 09-42.740 FS-PBRI), la Chambre sociale de la Cour de cassation a largement entamé le pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise. En cause, l’interprétation de l’article L. 1321-1 du Code du travail selon lequel, dans les entreprises de 20 salariés, « le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur ».
Principe de l’égalité des sanctions
S’appuyant sur ce texte, un salarié demandait l’annulation de la mise à pied disciplinaire de cinq jours qui lui avait été infligée au motif de propos diffamatoires. Son argument résidait dans l’absence, dans le règlement intérieur de l’entreprise, de limites, en termes de durée, de la mise à pied que l’employeur pouvait prononcer à son encontre. Alors que les juges de la Cour d’appel de Rennes avaient rejeté cette démonstration, la Cour de cassation, rejoignant une décision antérieure du Conseil d’Etat (CE, 21 septembre 1990, n° 105.247) décide qu’ « une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par le règlement intérieur ».
Ce faisant, la Chambre sociale de la Cour de cassation opère assez logiquement un virage à 180° sur une jurisprudence déjà ancienne (Soc., 25 juin 1987, n° 84-42.314, Bull. Civ. V n° 423). En effet, on rappellera que l’usage du présent de l’indicatif dans un texte de loi vaut impératif. Dès lors, on ne pouvait que déduire de son utilisation au sein de l’article L. 1321-1 du Code du travail, l’obligation pour l’employeur, qui rédige unilatéralement ce document sous le contrôle, dans un premier temps du moins, de l’administration du travail et des juridictions administratives, d’y inclure la liste des sanctions qu’il est en droit de prononcer.
Le pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise est donc désormais encadré par un strict principe de légalité des sanctions, par analogie avec les règles fondamentales du droit pénal. La suite de l’arrêt du 26 octobre 2010 confirme cette analyse. Dans le cas présent, la mise à pied disciplinaire était inscrite dans le règlement intérieur. Seule la mention de sa durée maximale faisait défaut. Partant, les juges du quai de l’horloge décide qu’ « une mise à pied prévue par le règlement intérieur n’est licite que si ce règlement précise sa durée maximale » faute de quoi elle est annulée. A contrario, on peut penser que lorsque le règlement intérieur prévoit une durée maximale, l’employeur sera également tenu de s’y conformer eu égard à la nature réglementaire de cet acte de droit privé (Soc., 25 septembre 1991, n° 87-42.396, Bull. Civ. V n° 381). Toute fantaisie dans le prononcé d’une sanction disciplinaire est donc définitivement proscrite.
Une nouvelle insécurité juridique ?
On peut difficilement contester, sur le fond, cette décision : posant l’obligation de prévoir la nature et l’échelle des sanctions dans le règlement intérieur, il faut désormais comprendre que le Code du travail encadre le pouvoir de sanction de l’employeur par une stricte séparation des pouvoirs réglementaire et disciplinaire de celui-ci.qui. De surcroît, l’arrêt unifie la jurisprudence dans une matière où juridictions administratives et judicaires ont souvent divergé. Ce ne devrait par conséquent qu’être que bénéfique pour la sécurité juridique des plaideurs et, parmi eux, des entreprises.
Pourtant, on peut s’interroger sur les conséquences pratiques de cette décision. La plus flagrante semble être la nécessaire révision de l’ensemble des règlements intérieurs d’entreprise. On ne saurait, en effet, trop conseiller aux chefs d’entreprise de passer en revue les dispositions relatives à la discipline dans l’entreprise et, le cas échéant, de les compléter dans le respect des procédures applicables : consultation du comité d’entreprise (ou, à défaut, des délégués du personnel) et communication à l’inspection du travail (article L. 1321-4 du Code du travail).
La multiplication du contentieux, moins évidente, est tout aussi problématique. Contentieux à l’occasion de la modification du règlement intérieur, dans le cadre de la contestation d’une décision de l’inspection du travail, à n’en pas douter. Surtout, contentieux disciplinaire portant sur toutes les sanctions prononcées en l’absence de dispositions dans le règlement intérieur. Ainsi, chaque salarié est recevable, dans un délai de 5 ans (prescription de droit commun en l’absence de prescription spéciale – article 2224 du Code civil), à demander au Conseil des prud’hommes l’annulation d’une sanction prononcée dans le silence du règlement intérieur. Si l’hypothèse est avérée, les juges devront rétablir le salarié dans ses droits : paiement du salaire en cas d’annulation d’une mise à pied ou encore réintégration dans son emploi en cas de rétrogradation ou de mutation, par exemple.
Reste une question en suspens : quel sera le sort d’un licenciement disciplinaire, fondé sur une cause réelle et sérieuse, prononcé conformément aux éxigences procédurales du Code du travail mais dans le silence du règlement intérieur ? Doit-on également considérer cette sanction comme nulle avec toutes les conséquences qui s’imposent : réintégration ou reclassement dans un emploi similaire et rappel de salaire notamment ?
Plus généralement, cette situation n’est pas sans rappeler celle rencontrée à l’été 2002, lorsque la Chambre sociale de la Cour de cassation précisa sa jurisprudence relative à la clause de non concurrence. Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, on mesurera donc, une fois encore, les conséquences désastreuses de la rétroactivité des revirements de jurisprudence, déjà dénoncée en d’autres temps…