Europe – Pays émergents : Le faible intérêt d’une politique commune minimaliste

Publié le 05 août 2011 par Jblully

Les Parlementaires européens viennent, lors d’une audition de la Commission des affaires étrangères, de souligner un manque de stratégie commune de l’Europe à l’égard des pays émergents. Le constat va de soi ; il a, pourtant, le mérite d’être dit à un moment où l’Europe brille par des stratégies, somme toute, minimalistes. L’intergouvernementalisme mais aussi les jeux individuels des États membres de l’UE l’emportent, tout particulièrement depuis la crise de 2008-2009, dans tous les domaines. La politique extérieure, tant diplomatique que commerciale, ne fait pas exception.

De fait, selon une étude du Conseil européen des relations étrangères (ECFR), l’atteinte à l’unité de la stratégie commerciale européenne est frappante dans le cas de la relation commerciale sino-européenne. « La présence croissante de la Chine grâce à sa nouvelle stratégie se traduit par des changements d’attitude des États membres. L’Europe est davantage divisée entre ceux qui ouvrent malgré tout leurs marchés (notamment la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni) et ceux qui sont à la recherche de liquidités (notamment la Hongrie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et Chypre) ».

À l’heure où la présidence française du G8 et du G20 entend faire une plus large place aux pays émergents dans les enceintes internationales, l’Europe aurait effectivement intérêt à donner une ambition nouvelle à sa relation avec les pays émergents. Le partenariat avec ces pays qui représentent, désormais, 15 % des échanges mondiaux, doit être une priorité de l’UE et ils doivent être considérés comme un seul bloc, notent les Parlementaires.

Le propos peut surprendre car on ne saurait avoir la même posture vis-à-vis de la Russie et vis-à-vis de la Thaïlande, par exemple. Au demeurant, derrière ce débat, c’est la question du maintien du leadership commercial de l’UE dans le monde qui est en jeu et ce, d’autant que d’autres puissances, notamment les États-Unis, (re)mettent les exportations au cœur de leur croissance. L’UE enregistre un déficit commercial quand ce n’est pas un recul de ses parts de marché dans un contexte de croissance du commerce international (+ 14,5 % des exportations mondiales et + 13,5 % des importations mondiales). Or, les signaux donnés par l’UE ne laissent guère à penser qu’elle se donne les moyens de capter la croissance là où elle est :

- qu’il s’agisse des outils diplomatiques comme le SEAE (Service européen pour l’action extérieure) qui tarde à faire émerger une politique d’envergure à l’issue du printemps arabe comme l’illustre aujourd’hui l’absence de réponse apportée à la situation sociale et économique grave que connaissent la Tunisie et l’Égypte ; une business diplomacy européenne ambitieuse s’impose plus que jamais quand on voit que les États-Unis pourraient remporter la mise dans la région ;

- qu’il s’agisse des outils de politique industrielle ou énergétique pour lesquels l’Europe tarde aussi à faire émerger une position commune entre pays membres ; fort heureusement, le Commissaire européen à l’industrie, Antonio Tajani, semble vouloir en dessiner les prémisses. Mais toute la dimension extérieure de cette politique est également essentielle comme le montre la croissance des investissements industriels des pays émergents sur le sol européen ou encore les pratiques commerciales déloyales de certains BRICs en vue d’éroder certaines productions industrielles européennes ; quant aux partenariats énergétiques entre l’UE et les pays émergents producteurs, ils peinent à s’affirmer face aux pays membres qui continuent de faire cavalier seul pour défendre leurs champions nationaux ;

- qu’il s’agisse, par ailleurs, de la politique d’appui aux entreprises, notamment aux PME, dans les pays émergents que la Commission (DG Entreprises et industrie) s’emploie à traiter sous l’angle privilégié de l’information. La récente consultation européenne lancée par Bruxelles sur le thème «  Small Business, Big World – A new partnership to help SMEs seize global opportunities » ne semble pas véritablement prendre la mesure des nouveaux défis auxquels font face les entreprises pour pénétrer les marchés étrangers : partenariats avec des acteurs locaux, demande de transferts de technologie et de savoir faire de la part des autorités des pays émergents, obligations de contenu local … Les réponses qui s’imposent le sont donc plus en termes de prévention, d’accompagnement de risques plus spécifiques et plus techniques (maîtrise du réseau local, par exemple) ; l’Europe se doit d’être partenaire des entreprises via des services à plus grande valeur ajoutée ou relevant de politiques spécifiques comme vient de le souligner la CCIP dans une réponse à la Consultation ;

- qu’il s’agisse, enfin, des instruments de politique commerciale où la Commission européenne semble, à la différence des autres politiques ci-dessus, avoir opté pour une accélération des négociations en faveur des accords de libre-échange (Corée du Sud mais aussi Singapour, Inde, Japon, etc.). Reste que, parmi les marchés émergents les plus porteurs, 28 ont affiché, en 2010, des hausses d’importations supérieures à 30 %, selon la base GTA-GTIS ; ce sont là des pays avec lesquels l’Europe n’a pas forcément de stratégies à long terme susceptibles de porter durablement le développement international des entreprises (Turquie, Taïwan, Indonésie, Nigeria, Mexique, Afrique du Sud, etc.).

Alors, oui, l’Europe n’a pas de stratégie commune vis-à-vis des pays émergents alors que cela se révélerait, sur plus d’un point, pertinent. Mais comment les États membres pourraient se ranger derrière une politique qui risque d’être inadaptée aux enjeux. Les signes avant-coureurs d’une éventuelle « force de frappe » de l’UE se révèlent peu visibles et, dans tous les cas, insuffisants à créer les alliances nécessaires entre l’Europe et les pays émergents sur les grands sujets internationaux et enrayer le déclassement européen dans l’arène globale.