La notion d'influence résiste encore à pénétrer le discours stratégique en entreprise. Et pourtant, c'est une notion qui devient de plus en plus cruciale dans un monde de plus en plus ouvert et de plus en plus concurrentiel.
Le blocage cognitif concernant l'utilisation de cette notion a plusieurs sources qui correspondent à des emplois de la notion qui sont mal compris. Ainsi, au niveau juridique, on parle de « trafic d'influence » pour signifier en fait une forme de corruption. En réalité on a tort de se concentrer sur la notion d' « influence » dans l'expression « trafic d'influence ». L'important est plutôt qu'il y a eu « trafic », c'est-à-dire « commerce ». Et en effet le commerce de l'influence est illégal. Remarquons d'ailleurs que faire du commerce avec de l'influence n'a rien à voir avec l'influence proprement dite puisque celle-ci doit permettre au contraire d'obtenir des avantages sans avoir besoin de dépenser le moindre frais. C'est cela l'intérêt de l'influence : l'économie. Cela ne signifie pas qu'elle n'ait pas de coût, cela signifie qu'elle agit sur des cibles en dehors de toute rétribution.
Un autre problème consiste à mettre l'influence sur le plan moral. Là encore, il y a malentendu. Où a-t-on vu l'injonction « Tu n'influenceras point » ? L'influence est un mode de fonctionnement normal des sociétés humaines et de l'homme social. Le père influence son fils comme ce dernier l'influence à son tour. Les amis nous influencent comme nous les influençons, etc. Nous sommes pris sans cesse dans des réseaux d'influence plus ou moins directs, de manière plus ou moins consciente. La question de la moralité n'a donc aucun sens dans ce cas. D'abord parce que les causes éminemment « morales » cherchent également, et cela est normal, à influencer. Qui irait dénoncer par exemple l'immoralité de la ligue des droits de l'homme pour leurs publications, leurs colloques ou leur présence médiatique qui sont autant de moyens d'influence ? L'influence est reconnue comme une composante de l'homme social et est étudiée dans ce sens par une discipline : la psychologie sociale1. Elle n'a donc rien à voir avec la morale ou l'éthique mais tout simplement avec l'humain.
Enfin, après l'argument sémantique et l'argument socio-anthropologique, il faut signaler l'argument de réalité : les entreprises font déjà de l'influence ! Il est évident en effet que le marketing et la communication sont des moyens d'influence sur les consommateurs. De la même manière, les innovations et les stratégies d'entreprises sont des moyens d'influence sur la concurrence et le marché. Et le rôle des fédérations professionnelles auxquelles la plupart des entreprises d'un même secteur sont rattachées n'est-il pas d'avoir de l'influence sur les pouvoirs publics nationaux ou trans-nationaux, voire sur les instances de régulations internationales ? On a tort d'avoir en tête des pratiques « louches » lorsqu'on parle d'influence. Influencer son environnement stratégique pour une entreprise, c'est tout simplement agir pour être plus performante dans cet environnement, exactement comme l'Homme a aménagé son milieu de vie depuis la nuit des temps.
Alors osons parler d'influence pour les entreprises. Non pas par cynisme, mais pour accompagner une réflexion stratégique sur l'influence afin qu'elle soit plus efficace et devienne un véritable levier de performance. Avoir un plan de communication sur le long terme sur telle ou telle cible stratégique, occuper la place la plus intéressante dans telle ou telle fédération professionnelle, voire – si on en a les moyens – piloter un service d'affaires publiques et de lobbying de manière efficace, ou encore travailler à des innovations qui rendraient obsolètes les standards actuels du marché2 ; voilà autant de stratégies d'influence qui, parfaitement comprises comme telles, sont aujourd'hui plus-que-jamais nécessaires.
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1Voir : Serge Moscovici (sous la dir.) Psychologie sociale, PUF, 1984, 2003
2Voir l'article sur ce blog « Qu'est-ce qu'un environnement pertinent ? »