Chers lecteurs,
En ligne depuis le 5 juillet, vous avez été 256 à répondre au « sondage du moment » qui avait pour question :
« Le plus important dans le travail, pour vous, c'est... »
Résultat de ce sondage :
- 28% l’utilité sociale de mon travail (73 votants)
- 26% les responsabilités (67 votants)
- 23% la rémunération (60 votants)
- 16% la charge et le temps de travail (37 votants)
- 7% la sécurité de l’emploi (19 votants)
Il est intéressant de noter que « l’utilité sociale de mon travail » arrive en première position, même si « les responsabilités » et « la rémunération » complète le trio de tête. Nous pouvons aisément lier « utilité sociale du travail » et « les responsabilités », notions très proches toutes les deux recouvrant l’idée d’être en charge de, d’être utile à, ou tout du moins de servir à quelque chose… De même, il est aisé de réunir « les responsabilités » et « la rémunération », car dans de très nombreux cas : un travail à « responsabilité » est bien souvent plus rémunérateur qu’une simple activité d’exécution. D’un autre côté, il est bien plus rare qu’un travail utile socialement entre dans cette catégorie des activités bien rémunérées !
Concentrons-nous sur cette notion « d’utilité sociale du travail » qui est de mon point de vue à rapprocher du concept même d’intérêt général. En effet, ce qui est utile socialement ne relève-t-il pas de l’intérêt de la société, c’est à dire de l’intérêt général ?
« L’utilité sociale d’un travail » et « travailler à l’intérêt général » sont donc deux notions par nature intimement proches. De part l’histoire de notre société, il est aussi par nature que l’intérêt général soit exercé par l’Etat et notamment ses forces vives, c'est-à-dire le fonctionnaire. De part son état, ce dernier dispose de droits statutaires. A l’exemple de sa rémunération, qui n’est pas le fruit de son travail, mais de son grade. Cette particularité lui permet donc de se consacrer entièrement à l’intérêt général… En effet, détacher sa rémunération, appelée traitement, de la réalisation d’une tâche ou d’une prestation permet au fonctionnaire de répondre en toute liberté, sans contrainte et sans pression, notamment de résultat économique, à l’intérêt général.
Alors que durant tout le XX siècle, le marché du travail lié au service public s’est construit sur cette notion d’intérêt général, que les fonctionnaires ont profité d’un rapport de force avantageux leur permettant d’acquérir un espace distinct, protecteur et statuaire. A l’inverse, le marché du travail dédié au privé s’est construit sur la loi de l’offre et de la demande, n’obéissant qu’à des règles marchandes, de plus en plus libérales et bien souvent au détriment de sa principale ressource : le capitale humain !
En parallèle à ces deux marchés du travail que sont le public et le privé s’est développé, depuis les années 70, un troisième marché celui de « l’utilité sociale », connu aussi sous la dénomination « d’économie sociale » ou bien encore « de service non marchand ». Un marché du travail hybride au sein duquel l’intérêt général laisse sa place à la notion « d’utilité sociale », qui permet l’introduction de concepts tels que : l’efficience économique ou bien encore le retour sur investissement…
Aujourd’hui, l’Etat se désengage de plus en plus de ses missions d’intérêt général au profit de cette notion « d’utilité sociale du travail », à l’exemple de certains opérateurs privés à qui l'Etat délègue l'accompagnement des chômeurs… De même, la gestion de certains services sociaux, tels que la garde d’enfants, l’aide à domicile aux personnes âgées dépendantes, aux handicapés ou l’hébergement de SDF, sont assurés par des associations appartenant au monde de« l’économie sociale ». A l’inverse du statut de fonctionnaire qui permettait de se prémunir de logiques économiques peu en accord avec la notion d’intérêt général. Aujourd’hui de nombreux travailleurs, relevant du marché du travail, produisent des services non marchands et souvent dans des conditions, notamment salariales, très défavorables. Sans compter que l’offre de ces services n’étant plus du ressort de l’Etat, mais au service d’enjeux financiers, celle-ci se fait bien souvent en dehors de l’égalité de traitement des usagers auquel l’Etat est par essence contraint.
La messe est donc dite ! C’est au monde associatif et à certains opérateurs économiques de prendre en charge l’intérêt général : monopole d’Etat, hérité des Lumières et de la Révolution Française ! Encore une spécifié du modèle à la française mis à mal par le rouleau compresseur de l’ultra libéralisme…
Mais en dehors de cette perte d’intérêt de l’Etat à l’intérêt général… Il est plus préoccupant que cette extension du domaine de « l’utilité sociale » égratigne le statut du fonctionnaire et le malmène. Mais aussi qu’elle scelle le destin des services non marchands, les laissant à la merci des lois du marché !
De ce constat se pose alors quelques questions : quel statut pour tous ces professionnels en action dans les associations ? Leur situation est souvent bien précaire, dépendant des subventions de l’Etat, des priorités sociétales, gouvernementales et aujourd’hui des marchés financiers.
Mais plus largement et en prenant de la hauteur, c’est la notion même de « service non marchand » qui est en jeu et en questionnement. Ceux-ci sont-ils régis par les lois du marché concurrentiel ou doivent-ils être gérés dans le cadre de l’intérêt général et de l’égalité des usagers ?
Il est essentiel que toutes ces questions trouvent des réponses pour que le travail socialement utile se développe plus largement en France, qu’il prenne son véritable essor et dans de bonnes conditions. Car, il s’agit de milliers d’emplois que « l’économie sociale » pourrait générer, une véritable aubaine en ces temps de crise et d’augmentation du chômage ! Malheureusement, tous nous gouvernements successifs nous ont abreuvés de cette manne d’emplois, mais sans jamais vraiment construire des bases saines pour son développement… Et tant que le courage politique et vision d’avenir seront dépendant de quelques lettres de l’alphabet, nous pourrons attendre bien longtemps ! Et pourtant, les réalités sont bien là, comme nos besoins sur la dépendance, ainsi qu’une demande forte de la population active de se sentir utile socialement, d’avoir des responsabilités et de gagner leur vie à la juste hauteur de leur implication dans la société…
Nous devons donc construire une véritable société du travail de l’humain pour l’humain, avec deux priorités : donner une vraie valeur, mais autre qu’économique ou financière, au « service non marchand », une valeur sociétale ou plutôt d’intérêt général ! Car c’est là, à mon sens que le bas blesse… Revenons à aux vraies valeurs, à celle qui font notre république, soutiennent notre démocratie, commémorent nos Lumières et rappel nos acquis révolutionnaires ! Comme celle de « l’intérêt général », qui se doit de revenir au devant de la scène comme l’est aujourd’hui une autre valeur, très proche, mais plus d’actualité, le « développement durable ». Mais tout ceci est un autre débat, vous laissant réfléchir à ces quelques écrits et au plaisir d’échanger avec vous sur ce sujet.
Je vous propose un « nouveau sondage du moment » :
« … Pour trouver un emploi, êtes-vous prêt à ... »
- « …accepter un métier que n’est pas le votre… »
- « …être payé moins que ce que vous estimez devoir être payé… »
- « …accepter un travail à temps partiel… »
- « …accepter un contrat précaire CDD, intérim… »
- « …accepter de partir à l'étranger… »
- « …accepter des horaires ou des conditions de travail difficiles… »
- « … ne rien accepter de tout cela… »