La gestion des carrières, comme les autres pratiques centrales de la gestion des ressources humaines, est marquée par une forte insistance sur la nécessité de prendre des décisions en considérant les caractéristiques propres aux personnes. Ce mouvement d’individualisation conduit à enrichir la gestion des carrières en la transformant en gestion différentielle des carrières.
Des essais d’introduire la gestion différentielle ont concerné dans le passé des classes d’âge (gestion différenciée des rémunérations et des modèles de carrière des anciens dans l’organisation et des nouveaux entrants, par exemple). Cette tendance devrait se confirmer dans le futur et rendre incontournable une gestion différentielle des carrières.
Dans ces conditions, les décisions ne seront plus prises par rapport à un référentiel unique dont l’application serait universelle, mais seront particularisées par rapport à une série de référentiels ajustés aux types et à la qualité différente des liens entre les personnes et les organisations.
Un critère différenciateur en gestion des carrières, un critère efficace du point de vue de ses effets et pertinent sur le plan théorique, pourrait être le type et le niveau de demande d’autonomie exprimé par la personne dans la construction de sa carrière [1]. Cette notion d’autonomie a l’avantage de bien rendre compte des conduites observables dans les entreprises du côté des décideurs comme de celui des personnes objets ou clients de ces décisions.
Mettre l’accent sur l’autonomie nous rappelle que le pouvoir est inégalement distribué dans l’entreprise du fait de la division sociale du travail. Pourtant, l’autonomie est l’objet d’une injonction forte des responsables hiérarchiques à l’égard de leurs collaborateurs : « Conduisez-vous de façon autonome, prenez-vous en charge, soyez responsable de votre carrière ». Réciproquement, les collaborateurs demandent à leurs patrons d’accroître leurs degrés de liberté pour mieux choisir et se mobiliser davantage.
Si elle n’a pas de contenu opérationnel, l’autonomie reste un beau souhait sans réalité. Des travaux ont donc tenté de la mesurer dans la situation de travail [2].
Mes propres travaux, menés depuis plusieurs années sur des populations de jeunes managers, m’ont conduit à proposer une typologie des formes d’autonomie observables en milieu de travail.
Il existerait ainsi quatre formes d’autonomie. Ces formes d’autonomie correspondraient à des dispositions préférentielles, celles qui apportent à la personne la plus grande efficacité quant à son rapport au monde et aux autres, et produisent en conséquence le plus grand impact.
S’il faut admettre l’hypothèse que toute personne possède en puissance toutes ces formes d’autonomie, l’observation montre que l’une d’entre elles semble bénéficier d’un privilège et s’exprimer d’avantage à une époque donnée de la vie, voire pendant toute la durée de la vie pour certaines personnes.
La typologie des formes d’autonomie distingue :
- L’autonomie des personnes valorisant les relations d’interdépendance
- L’autonomie des personnes engagées dans un rapport essentiellement contre-dépendant à l’égard de leur entreprise, des supérieurs
- L’autonomie des personnes se sentant à l’aise dans un rapport de dépendance et d’identification à l’entreprise et aux supérieurs
- L’autonomie des personnes évoluant comme des électrons libres, en recherche d’un ancrage.
Ces formes d’autonomie sont repérables à des niveaux de plus ou moins grande intensité, et chaque personne peut être caractérisée par la forme d’autonomie privilégiée qui émerge de façon préférentielle dans sa conduite, à un moment donné de sa carrière.
À des individus différents correspondent donc des formes d’autonomie différentes conduisant les entreprises à proposer des dispositifs de gestion de carrière différents. C’est la proposition d’une telle offre qui légitime une approche différentielle de la gestion des carrières.