Lundi matin, le plan médias du candidat sortant a connu son lot d’anicroches sur France Info. S’emmêlant les pieds sur « l’apparence musulmane », il a également déployé des trésors de rhétorique pour travestir l’incontestable hausse du chômage, présentée comme une augmentation en baisse. Cette astuce langagière, qui n’a trompé personne, s’inscrit dans la longue et tortueuse relation de Nicolas Sarkozy au chômage, qui depuis 2007 tient une place toute particulière dans son discours. Retour sur 5 ans de mots pour parler du chômage, 5 ans d’échec, et autant de tons et de registres.
BLUFFEUR
Avril 2007 : le candidat Sarkozy, en pleine bourre, s’enivre de ses propres slogans : ensemble, tout devient possible. 5% de chômage au bout de 5 ans ? Rien de plus facile, d’ailleurs, si je n’y arrive pas, je demande aux électeurs de me sanctionner ! « Je veux m’engager, par exemple, sur le plein emploi : 5% de chômeurs à la fin de mon quinquennat. Et pour ce travail, on ne nous demande pas une obligation de moyens, on nous demande une obligation de résultats. [...] Si on s’engage sur 5% de chômeurs et qu’à l’arrivée il y en a 10%, c’est qu’il y a un problème ! […] [Si je n’y arrive pas] je dis aux Français ‘c’est un échec et j’ai échoué’ ! Et c’est aux Français d’en tirer les conséquences. »
SOLENNEL
Mai 2008 : depuis qu’il est arrivé à l’Élysée, Nicolas Sarkozy bénéficie de bons chiffres de l’emploi – avant même qu’il ne mette en œuvre sa propre politique, d’ailleurs – chiffres qui finissent par donner des ailes et une certaine euphorie au jeune président en visite à Rungis. « Mon objectif, c’est le plein emploi, c’est pas de gérer le chômage », qui d’ailleurs « va continuer à baisser, on est à 7,5 % ». Pas de chance : en juin, avant même le début de la crise économique qui servira ensuite d’excuse récurrente, les chômeurs de catégorie A voient à nouveau leur nombre augmenter.
COMPARATIF
2009, la crise est là, financière puis économique. Pris au piège de ses propres rodomontades, Nicolas Sarkozy inaugure ce qui va devenir une de ses grandes ficelles rhétoriques multi-usages : certes, en France, ça va mal, mais ailleurs, c’est encore pire. « L’activité en France a reculé moins qu’ailleurs et elle s’est remise à croître dès le deuxième trimestre de cette année. Nous avons moins détruit d’emplois et notre chômage a moins augmenté », prêche-t-il ainsi en septembre 2009 à La Seyne-sur-Mer. Un peu avant, Christine Lagarde a inauguré l’ancêtre de la « baisse tendancielle de la hausse » : « la dégradation de l’emploi a ralenti significativement depuis le début de l’année ».
PROPHETIQUE (et toc)
Janvier 2010, Nicolas Sarkozy tente de renouer avec la magie de 2007 en se confrontant aux « Français » pendant une une longue émission sur TF1. Du coup, il se reprend au jeu des prédictions hasardeuses, édictées du haut de son autorité présidentielle : « Vous verrez que le chômage va commencer à reculer dès cette année ». Pas de chance, François Fillon, puis les statistiques officielles (10% de chômage en mars), viennent à nouveau lui offrir un cinglant démenti.
PROPHETIQUE (le retour de la vengeance)
Les faibles succès, jusque là, de ses tentatives de reconversion dans la voyance télévisée ne semblent pas dissuader le président de persévérer dans cette voie, d’une manière qui ressemble de plus en plus à la méthode Coué : en septembre 2010, face au trio Chazal – Pujadas – Denisot, il remet le couvert. « Le chômage reculera l’année prochaine, l’économie repart, est en train de repartir, on peut s’en sortir ». Fin 2011, on sort la calculette : 2,7 millions de chômeurs en France métropolitaine, contre 2 millions fin 2007. Caramba, encore raté !
(à 32 minutes)
BARATINEUR
Quand on a tout tenté, il ne reste plus que la prestidigitation linguistique. Le promoteur de la France Forte enchaîne oxymores et euphémismes avec la grâce d’un danseur sur glace : « Les chiffres de ce soir manifesteront une amélioration de la situation, avec une baisse tendancielle de l’augmentation du nombre de chômeurs, cette augmentation sera assez modérée ». Bref, ça descend, même si ça monte, mais pas beaucoup. Toute comparaison avec la popularité de l’intéressé serait bien entendu purement fortuite, et très peu fairplay.
Romain Pigenel