Chaque troisième jeudi d’octobre, et ce depuis neuf ans maintenant, tous les salariés de France sont invités à célébrer leur entreprise à l’occasion de l’événement « J’aime ma boîte ».
Il ne faut pas confondre cet événement avec, un petit mois plus tard, le troisième jeudi de novembre, jour de sortie du « Beaujolais nouveau » qui lui, invite chaque œnologue en herbe, et plus largement chaque français majeur et modéré, à se prononcer sur le goût du nouveau breuvage, plus ou moins banane (ou framboise selon les années). Vous conviendrez, qu'hormis le choix de la mécanique calendaire, le troisième jeudi, il n’existe aucune raison de confondre ou de comparer ces 2 événements. Nous y reviendrons toutefois plus loin...
Salariés / Entreprise : amour discret et divorce patronal ?
Pour en revenir à « J’aime ma boite », il me semble que toutes les conditions étaient réunies, cette année, pour donner à l’événement une ampleur sans précédent. En effet, une abondante littérature prônant l’avènement du « collaborateur ambassadeur » avait envahi nos écrans et nos esprits depuis quelques mois. Ce rendez-vous du 18 octobre devait sans aucun doute consacrer ce qui était devenue une tendance lourde ou, pour le moins, offrir une formidable tribune à tous les collaborateurs ambassadeurs de France !
Déception… Il n’en fut rien…
Il me semble que l’événement fut plutôt discret cette année. Un chiffre pour illustrer ce succès en demi-teinte ? Le nombre de fans Facebook de la page « J’aime ma boîte » plafonne à 617 J’aime dont 50 personnes qui en parlent (sur près de 24 millions de salariés en France) alors que la page fan « Beaujolais nouveau » affiche triomphalement 20 416 J’aime dont 3 765 fans engagés ! (j’avais prévenu que j’y reviendrai ;-).
Et pourtant, contre vents et marées, malgré un chômage au plus haut et un moral au plus bas, les français aiment leur boîte. Cette année, ils furent encore 67 % à dire OUI à la question « Aimez-vous votre boîte ? » (contre près de 80 % avant crise tout de même). Quand à ceux qui répondent NON, la faute en incombe prioritairement ... au management.
La marque employeur contre-attaque !
Là où l'entreprise peine à mobiliser, la marque employeur reprend le flambeau et semble vouloir s'appuyer sur les collaborateurs pour les transformer en ambassadeurs de la marque employeur sur les médias sociaux.
Elle ne manque pourtant pas d’ambassadeurs notre marque employeur !
Les équipes dirigeantes au premier titre. En effet, qui plus naturellement qu'elles pour porter leur marque employeur, qui mieux qu’elles pour décrire un projet et une vision qu’elles ont souvent créés ? Mais il semblerait que les préoccupations du moment tournent plutôt autour des questions de défense de l'entrepreneuriat (#Geonpi) et de recherche de compétitivité (fronde de la généralement discrète Association française des entreprises privées). Malgré une maîtrise avérée du buzz 2.0, voire tout simplement de la communication, on ne peut pas être sur tous les fronts…
Les managers alors ? Il est hélas à craindre que les managers soient en proie à une crise existentielle plus profonde*, coincés entre banalisation de leur statut, écrasement des lignes hiérarchiques et marges de manœuvres réduites par la généralisation des outils 2.0. Place d’abord à la redéfinition du rôle du management intermédiaire avant de leur confier une mission ou un rôle supplémentaire ! Difficile de leur faire porter, dans ces conditions, une parole qu'ils ont eux-même du mal à définir...
Les communautés RH/recrutement ensuite. Qui mieux qu’elles pour porter au quotidien la marque employeur sur les médias sociaux et au-delà. Parfois la communication d’entreprise s’en mêle et s’emmêle. Mais c’est un autre débat. Car ces communautés ont bien compris que la nouvelle posture à adopter consiste tout autant à séduire et attirer dans un premier temps, qu’à sélectionner dans un second (n’oublions pas tous les basiques tout de même). La gestion du volume des interactions semble cependant apparaître comme une limite technique. Campus manager ou community managers RH sont-ils appelés à se multiplier ?
La marque employeur a désormais un visage…
Si la marque employeur a un visage comme le titrait le Théma de l’Atelier Bnp Paribas sur ce sujet en mai dernier (Ifop pour l’Atelier Bnp Paribas), l’étude nous apprenait en revanche qu’elle manquait singulièrement de parole ou de clavier :-(
82 % des salariés interrogés ne parlent pas de leur entreprise ou de leur métier sur les réseaux sociaux parmi lesquels 73 % ne souhaitent pas le faire (e-réputation ou autres chats à fouetter ?)
Toutefois, si l’engagement des collaborateurs envers leur entreprise ne se décrète pas, il se mesure ! Et il est plutôt en augmentation, modérée, certes, mais en augmentation comme le souligne le baromètre de l’engagement (sic) conduit annuellement par Aon-Hewitt (engagement des salariés vis-à-vis de son entreprise en Europe = +1 % pour atteindre 52 %). L’occasion était trop belle pour ne pas la saisir ! Une autre étude de ce même cabinet nous rappelle à toutes fins utiles que, sans équipe dirigeante engagée et sans management engagé, point de collaborateurs engagés…Retour à la case départ ?
Alors le collaborateur ambassadeur de la marque employeur ?Activité naturelle ou activité encadrée dans le cadre d’une prise de parole organisée de la marque employeur ? Derrière cette interrogation se cache une alternative :
- Une démarche laissée à la libre initiative du collaborateur dans le cadre de ses activités « social media ». On pourra alors s’interroger sur la gestion des détracteurs de l’entreprise, tout aussi légitimes que les ambassadeurs, après tout.
- Une démarche encadrée à laquelle le collaborateur adhère, dans une fine gestion entre marketing RH de l’entreprise et marketing personnel du collaborateur (un règlement intérieur, une charte informatique… existent déjà dans l’entreprise. Une charte des « réseaux sociaux » ou a minima des formations/informations spécifiques se généralisent).
De cette alternative, on peut encore tirer le fil avec de nouvelles interrogations : si l’activité d’ambassadeur de l’entreprise est encadrée et organisée par l’entreprise, pourquoi ne serait-elle pas rémunérée, ou tout au moins récompensée ? Si le "collaborateur ambassadeur" s'inscrit dans une démarche organisée, ne risque-t-il pas de devenir un outil marketing au service de la marque employeur et perdre un peu de légitimité et de crédit ? ... Et tout celà, naturellement, au filtre des usages et de la culture de chaque entreprise. De bien longs débats encore en perspective...