Si je suis en ressources humaines aujourd'hui, c'est peut-être un peu à cause de ce qui est arrivé le 6 décembre 1989. J'avais 19 ans et j'étudiais à la Polytechnique pour devenir ingénieure géologue. J'étais sur place au moment où le tueur est entré dans l'école. Pour commémorer ce qui a modifié un peu l'histoire du Québec j'ai décidé de raconter ici comment ça s'est passé pour moi et pourquoi ça a changé mon parcours.
Quelques minutes après, l'alarme incendie a retenti, on a alors tous quitté la classe rapidement sans rien ramasser et on s'est dirigé vers les sorties de secours.
Au début plutôt lentement, mais à mesure que d'autres personnes d'autres étages se joignaient à nous, on sentait une sorte de panique gonfler. Je me souviens de la fuite dans les escaliers sans savoir ce qui se passait, la peur de voir une porte ouvrir, l'étudiante à côté de moi qui a crié quand une porte a fini par s'ouvrir pour vrai, la sortie à l'extérieur dans un coin de la Polytechnique où je n'étais jamais allée.
Ensuite la course en "petit bonhomme" le long du mur, l'arrivée dans la sortie d'une des stationnements et la gentille employée qui m'a embarquée dans son auto jusqu'au métro. "Je vous trouve bien calme" lui ai-je dit... "Ooh, j'ai travaillé dans une banque, alors les hold-ups..." Bien sûr on ne savait presque rien encore sur ce qui arrivait.
J'ai pris le métro sans mon sac ni mon manteau, je me disais qu'une chance il ne faisait pas trop froid. J'ai appelé mes parents et parlé à quelques proches pour leur dire que j'allais bien. En regardant la télé avec ma coloc, je me souviens du mélange de peur et de stupéfaction à mesure que le nombre de victimes augmentait aux nouvelles.
C'était trop, à un moment des amis venus chez moi et nous sommes allés jouer au billard. Les pensées tournaient, je calculais dans ma tête : sur place nous étions peut-être 1000 étudiants présents ce soir là ? Si 10 ou 15% étaient des étudiantes, les 14 victimes représentaient 10% des étudiantes présentes... J'aurais facilement pu en faire partie si j'avais décidé d'aller me chercher un lunch au mauvais moment...
Les jours suivants je suis allée récupérer mes affaires à l'école. Une odeur de nettoyant plus forte que d'habitude ? Cette tache sur le sol ? Rien pour vraiment confirmer qu'il venait de se produire un des évènements les plus marquants du Québec, mettant une partie de sa population en état de choc.
Au début de l'année suivante, j'ai décidé de changer de branche, et après quelques hésitations, j'ai fini un peu par hasard par travailler en administration puis en ressources humaines. J'ai pris des cours et je suis devenue DRH puis CRHA. J'aurais peut-être atteint ce même résultat sans le 6 décembre, mais je ne le saurai jamais.
25 ans plus tard... On peut se questionner sur la pertinence de souligner cet anniversaire ou sur l'importance qu'il faut accorder aux visées anti-femmes du tueur. C'est très personnel et dans ce billet public, je vais me concentrer sur deux choses qui sont importantes pour moi à communiquer.
D'abord, j'ai décidé de souligner le nom des 14 jeunes femmes courageuses qui voulaient être ingénieures, et de ne plus nommer le nom du tireur qui est souvent le seul cité.
- Geneviève Bergeron étudiante en génie civil
- Hélène Colgan étudiante en génie mécanique
- Nathalie Croteau étudiante en génie mécanique
- Barbara Daigneault étudiante en génie mécanique
- Anne-Marie Edward étudiante en génie chimique
- Maud Haviernick étudiante en génie des matériaux
- Barbara Klucznik-Widajewicz étudiante infirmière
- Maryse Laganière employée au département des finances
- Maryse Leclair étudiante en génie des matériaux
- Anne-Marie Lemay étudiante en génie mécanique
- Sonia Pelletier étudiante en génie mécanique
- Michèle Richard étudiante en génie des matériaux
- Annie St-Arneault étudiante en génie mécanique
- Annie Turcotte étudiante en génie des matériaux