« Votée il y a huit ans, cette loi était censée lutter contre les discriminations à l’embauche. Mais elle est complètement tombée dans les oubliettes aujourd’hui. La faute à une tendance à l’époque qui n’en est plus une ?
Voici une loi qui a complètement été laissée en jachère depuis son vote, en 2006, sans aucun décret, et dont plus personne ne se préoccupe aujourd’hui. Popularisée en 2004 par Claude Bébéar, l’ancien patron d’AXA, dans un rapport intitulé «Des entreprises aux couleurs de la France», l’idée du CV anonyme pour lutter contre les discriminations à l’embauche (origine, sexe, âge…) avait dans un premier temps provoqué l’enthousiasme avant de tomber dans l’oubli… Il semble cependant que la manœuvre pourrait s’inverser, plusieurs voix s’élevant contre la non-application de cette loi. Jusqu’à forcer le gouvernement à l’appliquer au quotidien? Trois requêtes en ce sens sont examinées ce mercredi 18 juin en audience publique.
C’est la Maison des potes-Maison de l’égalité, le MoDem Sciences Po et David Van der Vlist, un étudiant en droit, qui ont chacun sollicité le Conseil d’État afin que le premier ministre agisse à ce sujet, et se décide à prendre le décret nécessaire à l’application de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, qui rend obligatoire le CV anonyme pour les entreprises de plus de 50 salariés. Faute de décret d’application et de soutien syndical et patronal, la loi est tombée dans les oubliettes, même si des expérimentations ont été menées.
«L’équipe de François Hollande nous avait promis, pendant la campagne présidentielle, qu’il mettrait en œuvre le CV anonyme», a expliqué à l’AFP Samuel Thomas, président de la Maison des potes. «Mais depuis que le PS est arrivé au pouvoir, c’est un dialogue de sourds. On utilise donc la manière forte.» Pour ce militant antiraciste, «il faut que l’identité du candidat, son âge, son sexe, son origine ne soient connus qu’à l’étape ultime du recrutement pour que ces gens puissent faire valoir que leurs compétences sont plus importantes que les préjugés.»
Même constat mais d’une autre voix, David Van der List. «Il n’est pas normal que des lois votées au Parlement ne soient pas appliquées ensuite par le pouvoir politique», insiste cet étudiant en droit, estimant qu’ «il y a une vraie volonté politique de ne pas l’appliquer». Il raconte qu’en février dernier, lorsqu’il a présenté sa «feuille de route» pour l’intégration des immigrés et la lutte contre les discriminations, le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de discuter des CV lors de la prochaine conférence sociale.
Pourtant, le CV anonyme ne fait pas – ou plus! – l’unanimité. Chez AXA, un des principaux ambassadeurs du CV anonyme, on a volontairement – et naturellement – laissé de côté cet outil. Pourquoi ? Parce qu’à une époque où les réseaux sociaux exercent une véritable suprématie et où les informations sont partout sur le Web, la notion même d’anonymat ne répond plus aux problématiques du marché… Elle n’a plus sa place dans l’univers du recrutement. «Nous avons décidé d’arrêter d’utiliser cet outil fin 2013. Pourquoi ? Tout simplement parce que les candidats se démarquent autrement : c’est la mise en avant de sa propre personne sur le Web et les réseaux sociaux qui domine, bien plus que la notion d’anonymat. En revanche, si nous avons bel et bien arrêté cette pratique, nous continuons à prôner l’égalité des chances dans le recrutement, qui est un point essentiel», explique Nicolas Rolland, directeur culture et innovation chez AXA France.
Même constat pour Jean-Noël Chaintreuil, consultant RH et spécialiste du recrutement digital. «Il est inutile de vouloir jouer à l’américaine et le slogan “no discrimination”, cette notion de CV anonyme, a été mise à l’écart pour la simple et bonne raison que depuis 2006, elle n’a plus de sens, la tendance est ailleurs: du côté des réseaux sociaux professionnels (type LinkedIn et Viadeo) qui ont la cote. La tendance est aussi à la photo. Tout l’inverse de cette notion d’anonymat», analyse-t-il. »
Source : Le Figaro