« Le ministre du travail, François Rebsamen, s’est frotté à l’analyse de la courbe du chômage dans la salle des séances du Sénat, le 12 juin 2014. Il entame son discours sur la formation professionnelle par un état des lieux de la situation de l’emploi en France. »
Ce qu’il a dit :
« La courbe du chômage s’est véritablement inversée fin 2013. »
Pourquoi c’est plutôt faux ?
1. Deux méthodes de comptage
La courbe du chômage est l’objet obsessionnel des gouvernements depuis longtemps et, à ce titre, scrutée chaque mois. Mais elle n’est pas toujours calculée de la même manière : Il faut distinguer le nombre de demandeurs d’emploi, calculé par Pôle emploi et la Dares — la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, le service statistique du ministère du travail ; et le taux de chômage, apprécié par l’Insee.
Le ministère du travail décrit généralement la situation de l’emploi en France au regard des résultats de Pôle emploi (ou de la Dares, qui dépend de lui). Et parle donc de demandeurs d’emploi. Ici, M. Rebsamen considère ceux de l’Institut national de la statistique, et parle donc de chômeurs. Or les deux diffèrent.
- Pôle emploi et la Dares regardent le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, et qui sont comptabilisés chaque mois selon plusieurs catégories : A, B, C, D, E. Ce comptage concerne le nombre de chômeurs inscrits, et donc ignore ceux qui ne le sont pas et qui recherchent un emploi sans être passés par Pole emploi, par exemple.
– Quant au taux de chômage Insee, dont parle le ministre ici, il se base sur une définition du Bureau international du travail (BIT) qui permet les comparaisons internationales. A la fin de chaque trimestre, il rassemble la part de la population en âge de travailler (15 ans ou plus) qui est sans emploi, recherche activement un travail et n’a pas produit une seule heure d’effort.
Les statistiques des deux instituts ont tendance à s’aligner, mais début 2014, on constate une discordance entre les taux de fin 2013 : les inscrits à Pôle emploi continuent d’augmenter de 0,3 %, tandis que l’Insee soutient que le taux de chômage a diminué de 0,2 %. Une telle différence de résultats survient rarement, estime Eric Heyer, directeur adjoint de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Du fait de cette confusion, le ministère peut publier jusqu’à trois chiffres différents. Le premier dans un communiqué de presse (près de 3, 3 millions d’inscrits à Pôle emploi dans la catégorie A), les deux autres sur le site de la Dares en données brutes (3 372 000) et corrigées des variations saisonnières (3 307 300).
2. La Dares fait foi
Alors qui croire ? Marie Ruault, du bureau de la diffusion de la statistique de la Dares soutient « que les chiffres en ligne corrigés des variations saisonnières font foi ». A ce compte, M. Rebsamen s’est bien trompé : officiellement, le ministère du travail a enregistré une hausse du chômage entre les mois de novembre et de décembre 2013 de 0,3 %, et pas une baisse.
Dans tous les cas, ces querelles sont surtout comptables : la hausse de fin 2013 correspond à des individus qui se sont inscrits à Pôle emploi le mois précédent. Cela n’empêche pas qu’ils aient pu être sans travail bien avant fin 2013, sans êtreinscrits. Inversement, la baisse enregistrée par l’Insee ne signifie pas pour autant que d’anciens chômeurs ont retrouvé un emploi. Il suffit qu’ils ne recherchent pas (ou plus) de manière active de travail pour ne plus être comptabilisés.
Par ailleurs, la limite entre chômage et emploi est souvent poreuse. Comment compte-t-on le travail occasionnel, le sous-emploi ou la simple inactivité ? Conscient que la mesure obéit à des critères très précis, l’Insee calcule sur le côté un « halo » autour du chômage. A partir de l’enquête emploi, l’institut comptabilise les personnes classées comme « inactives », soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (plus de deux semaines de délai), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, ou encore parce qu’elles travaillent quelques heures par semaine. Et ce taux-là continue d’augmenter depuis fin 2008.
Le mois suivant, les données de l’Insee et de Pôle emploi pour début 2014 étaient à nouveau harmonieuses. Le chômage est bel et bien en hausse. »
Source : Le Monde