Encore une journée difficile. J'ai pas mal hésité avant de me lancer dans l'écriture ce soir car tout ce que je vais être capable de raconter est un ramassis de propos négatifs, mais bon c'est aussi ça le burn out, ou la dépression, appelez cela comme vous voudrez.
Je suis actuellement dans mon état de : j'en ai marre de tout, j'ai foutu ma vie en l'air, je n'en verrai jamais le bout, je suis perdue, je me sens incomprise, je ne sais plus quoi faire, quand cela va-t-il finir par s'arrêter? Un mauvais état. Une grande souffrance, rationnelle ou non, j'en sais rien... Tout ce que je sais c'est que je me sens horriblement mal. Je suis dans une sorte d'état second, détachée de tout ce qui m'entoure et emprisonnée dans cette tristesse qui me ronge. Je n'ai envie de rien, sauf oublier. Ce soir je me sens vide. Je compte donc sur votre indulgence, cet article risque de paraitre brouillon, j'écris au fur et à mesure que les choses me viennent en tête, j'ai besoin d'évacuer, de cracher, de vomir cette douleur qui me bouffe de l'intérieur.

Pourquoi? Pourquoi je n'arrive pas à m'en sortir? Je suis dans une bonne école avec une équipe soudée. Je travaille avec mes collègues. Je ne suis pas en milieu défavorisé. Je travaille à mi-temps. Je n'ai pas d'élève extrêmement difficile... juste quelques uns qui, oui, sont parfois très fatigants.
J'ai ma famille qui essaye de m'épauler de son mieux. J'ai un copain. J'ai un métier. J'ai de bonnes appréciations sur mon travail et de bonnes relations (enfin je crois) avec l'équipe. J'ai réussi à être titularisée malgré le peu de chances que j'avais d'y arriver. J'ai réussi à remettre les pieds dans une école alors qu'il y a à peine un an le simple fait de passer près d'une école, de parler éducation, d'être en contact avec tout ce qui pouvait me faire penser au métier (enfants compris) suffisait à me déclencher une crise d'angoisse. Je devrais être contente, heureuse, je ne le suis pas.
Ce soir je n'ai plus de médicaments, j'aurais dû passer à la pharmacie pour refaire le plein. Je ne l'ai pas fait pour une seule raison : donnez-moi des médicaments et je me fais un cocktail pour m'envoyer sur la lune. Je ne veux pas mettre fin à mes jours, je veux juste ne plus souffrir, ne plus penser.
Ce n'est qu'un métier, je ne devrais pas me mettre dans un état pareil à cause de ça... Surtout quand le reste va à côté. Ce soir je n'arrive pas à me faire ma séance "d'autolobotomisation", j'en ai juste marre, marre de me battre, je suis fatiguée du combat quotidien que je dois mener, fatiguée de lutter contre moi-même. 

J'ai honte, j'ai tellement honte de ce que je suis devenue. Je n'ai pas eu la vie facile, j'espèrais tellement qu'une fois entrée dans le monde du travail et mon envol pris ce serait plus simple. J'avais tort. La souffrance que j'ai pu endurer dans le passé n'est rien comparée à celle que je subis depuis que j'ai mis les pieds dans le monde de l'éducation. Ce monde j'ai pourtant voulu en faire partie.
J'ai tout sacrifié pour en arriver là et être l'étudiante modèle. Il y a eu des moments difficiles mais je me disais que ça en valait la peine. Je n'ai pas fait la fête comme les autres, je n'ai pas profité de ma jeunesse, pas de cuite, pas de défonce, pas de sorties régulières, pendant que les autres s'éclataient j'étais dans ma chambre à bosser, bosser, bosser car je voulais avoir mon boulot le plus rapidement possible. Pour moi c'était une fierté : je vais être prof et je mets toutes les chances de mon côté pour y arriver. J'avais des principes et je m'y tenais, hors de question de passer outre. J'étais la fille modèle, celle qui est sage, celle qui bosse, celle qui ne fait pas ou peu de conneries... Tout ça c'est fini, tout ça c'est du passé, tout ça a volé en éclat.
Aujourd'hui j'ai atteint mon objectif, je suis prof, ma vie ne ressemble pas à un rêve mais un cauchemar. J'ai le sentiment de ne pas avoir profité de ma jeunesse, j'ai le sentiment d'être passée à côté de plein de choses. 
Marre d'être la petite fille modèle, marre d'être celle qui dit oui à tout, qui accepte des choses à contre coeur sous prétexte de vouloir faire plaisir, marre de me taire, marre d'être sage, marre de mes principes à la c**...
Qu'est-ce que je suis devenue? Une prof, une loque dépressive qui se gave de médicaments, qui a fait 3 TDS, qui calcule et surdose ses médicaments en espérant que ça l'aide à mieux supporter la journée, qui a des idées noires, qui cherche à se défoncer lorsque la réalité devient trop dure à supporter. Oh oui, ce soir j'aimerais tout oublier, j'aimerais m'exploser la tête, j'aimerais ne plus penser... mais une petite voix me dit de me protéger et de résister, alors la seule chose qu'il me reste pour oublier c'est dormir.
On dit dans ce cas qu'il faut essayer de relativiser et de penser aux choses positives, au chemin qu'on a parcouru, à nos réussites, aux personnes qui tiennent à nous. Le problème c'est que lorsque la coupe est pleine vous n'êtes plus vraiment capable de faire ça, la seule chose que vous voyez c'est que vous souffrez, que vous ne voyez pas de solutions et que vous n'arrivez plus à supporter cette souffrance, cette boule qui vous serre la gorge, ces pensées négatives qui vous harcèlent sans cesse. Je ne comprends pas, non, je ne comprends pas pourquoi je me mets dans cet état... Pour tout vous dire à cet instant T j'en ai rien à cirer.

La journée a été difficile. J'ai une fois de plus mal dormi. J'ai, comme hier, dû me forcer pour réussir à avaler quelque chose au déjeuner. Nausée, envie de pleurer... Je prends mes médicaments et espère que cela passera, mais plus je m'approche de l'école et plus la pression devient forte. Je me pose des tas de questions. Que faire? Que faire pour se sortir de là? A qui demander de l'aide? A qui pouvoir accorder ma confiance? 
Je ne supporte plus d'avoir la boule au ventre en allant au travail. J'en ai marre de me demander tous les matins : "Comment va se passer la journée? Comment vont-ils être aujourd'hui?". 
Je m'attends à une journée difficile : c'est le jour de la photo de classe, ce qui veut dire que non seulement les élèves vont être excités mais qu'en plus notre journée va être rythmée par l'emploi du temps de la photographe (que j'ai reçu hier). J'ai bien essayé de faire quelques arrangements, peine perdue : tout est chamboulé, je suis obligée d'improviser, je n'arrête pas de faire le gendarme et je n'ai vraiment pas la tête à ça, je me retrouve seule avec mes 25 électrons libres surexcités pendant la dernière heure de la matinée... Ils n'écoutent rien, ils foutent le bordel partout, ils crient, certains osent en plus me répondre (bien à 3-4 ans, chouette les enfants? Mignon de travailler avec eux tous les jours? Bienvenue dans le monde et le culte de l'enfant roi). 
Trop c'est trop, j'en ai marre, je baisse les bras. Ils ne bossent pas, le travail est fait n'importe comment? Tant pis, j'en ai marre, je n'en peux plus, je sens les larmes monter. Je sors des jeux histoire de les occuper et pouvoir me décharger un peu. Je suis là derrière mon bureau, au bord de la crise d'angoisse, j'aimerais tant pouvoir m'enfuir.
L'heure de midi arrive, dans toutes mes préoccupations existentielles j'ai oublié de prendre mon repas. Tant pis, de toute manière je n'ai pas faim. Je me réfugie dans ma voiture, loin de l'école, loin des enfants et de leurs cris. Je fume, je fume, je fume... J'écoute de la musique pour essayer d'évacuer, j'échange des messages avec Sammy qui tente de me réconforter... Je prends mes médicaments, 5 comprimés de plus que ce que je suis censée prendre. Je programme le réveil sur mon téléphone et je m'endors.
C'est parti pour l'après-midi... J'y vais, sans aucune motivation. Heureusement que l'ATSEM est là, elle doit voir que j'ai atteint mon taux limite de saturation. Les après-midi passent plus vite... Heureusement, mais les élèves me saoulent quand même. Je ne supporte plus le bruit. A la fin de la journée je boucle mes affaires en à peine 5 minutes et m'enfuis de cette classe que je rêve de quitter depuis que j'y ai mis les pieds le matin.

A ce sujet j'oubliais, lorsque l'on se voit devenir prof, il y a plusieurs choses dont on "rêve". Tout d'abord mener la classe nous-mêmes, avoir notre propre classe, avoir le super beau sac de prof (que vous laissez au final dans un coin pour opter pour le sac cabas, beaucoup plus pratique pour transporter tout votre matériel), mais aussi... la première photo de classe. Ce matin la directrice m'a dit avec un grand sourire "Alors c'est ta première photo de classe? C'est super ça!"... J'affiche le plus beau de mes sourires forcés mais je n'ai qu'une envie : pleurer.
Je rentre chez moi, je n'ai pas envie de parler, j'ai besoin de m'isoler... Tout ce qu'on peut me dire ne fait qu'aggraver la situation "Mais c'est comme ça dans tous les boulots!", ah... en plus d'être d'une nullité extrême, je ne dois en plus pas être faite pour le monde du travail. Je vais me coucher pour me réveiller 2h plus tard, me forcer à avaler un plat en 5 minutes, et me voilà en train d'écrire.

Si seulement je pouvais revenir en arrière, si seulement je pouvais tout recommencer, si seulement j'avais les moyens de me reconvertir... L'avenir est flou et c'est les larmes aux yeux que je me dis "je vais devoir supporter ça toute ma vie".

Kity K