Le titre de cet article reprend la définition qu’a donné le sociologue Michel Crozier de la bureaucratie. Depuis cette définition, les exemples n’ont pas manqués d’entreprises qui, introduisant de la rigidité là où il fallait de l’agilité, se sont progressivement coupés de leur environnement (en particulier de leurs clients) alors que la solution s’y trouvait. Les nouvelles attentes du marché s’opacifient pour celui qui fige sa vision sur les produits et les processus de production. Beaucoup d’entreprises se laissent ainsi doucement convaincre qu’il est plus rentable, car moins risqué, d’être un suiveur rationnel plutôt qu’un défricheur d’espaces vierges. Pourquoi « essuyer les plâtres » ? Laissons des petits concurrents dénicher de nouvelles opportunités pour ensuite les capturer en nous appuyant sur notre taille et notre organisation sans failles.
Modéliser son environnement pour pouvoir le maitriser, voila une promesse bien alléchante pour nos bureaucrates en herbe. Les systèmes d’information sont la pour produire les outils sophistiqués de reporting qui décèleront automatiquement les écarts par rapport à la trajectoire prévue, au risque de créer un alibi justifiant l’immobilisme. Attention, car une trop grande dépendance de ces systèmes avec la fonction finance subordonne la consolidation de savoirs partagés entre les équipes à la production de rapports décrivant le passé. Cela incite à se représenter l’entreprise comme « un monde de couts à réduire », où l’on s’acharne sur des optimums locaux entrainant à la longue des non sens économiques globaux.
Si le tableau que je viens de décrire vous rappelle quelques expériences vécues, vous vous posez probablement comme moi la question : Pourquoi tant de personnes cèdent si facilement à la douillette bureaucratie ? Et bien Michel Crozier nous a apporté la réponse : « Ce qui paralyse le développement des rapports entre les hommes tient beaucoup plus à la capacité intellectuelle et morale limitée de l’individu à subir des tensions psychologiques qu’entraine la liberté qu’aux contraintes de la société ».
D’où viennent ces « tensions psychologiques qu’entraine la liberté» ? L’exercice de notre liberté individuelle peut et dans certaines circonstances doit, nous faire entrer en conflit avec notre communauté qui pourtant nous nourrit. Il n’y a pas de valeur dans notre entreprise autre que celle qui est reconnue librement par ses membres et ses partenaires. La performance de l’entreprise résulte des choix individuels d’adhésion à une forme d’organisation qui permet de concrétiser cette valeur. C’est pareil pour une équipe de rugby : faire des erreurs reste encore le meilleur moyen de faire progresser l’équipe !