Créer un jouet : un jeu d'enfant ?


Créer un jouet : un jeu d'enfant ?
Jean-Philippe
co-dirige WAYKUP, une agence de design spécialisée dans la conception et la fabrication d'objets promotionnels atypiques et surprenants
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http://toysafety.blogspot.com/
http://www.waykup.com/

  Si les enfants sont les meilleurs pour avoir des idées originales qui permettront de créer les objets avec lesquels ils auront envie de jouer, l'acte de création d'un jouet est cependant loin d'être un jeu d'enfant. A partir de l'idée de base, l'auteur du jouet devra trouver la forme de l'objet la plus adaptée, la matière, les contraintes d'emballage, de jouabilité, de jouabilité par les personnes à mobilité réduite, par les droitiers et les gauchers, les contraintes de sécurité, de fabrication, respecter les normes, respecter le budget dans le prix de revient de fabrication du jouet, et s'assurer que les enfants comprendront immédiatement qu'il s'agit d'un jouet en le voyant, voir même d'essayer de leur faire deviner en un seul coup d'oeil comment y jouer.
En moyenne, il se déroule 4 mois entre l'idée de base et la livraison d'une grande quantité de jouets, souvent fabriqués en Chine. En comptant à rebours, il faut enlever 1 mois de transport (maritime = soyons écolo & économes), 1 mois de fabrication, 1 mois d'outillage, 1 mois de conception, de mise au point & de premiers tests de laboratoires = 4 mois. Le temps passe vite quand on s'amuse !
  Pour décrire toutes les étapes, partons d'un exemple précis :   En interrogeant longuement plusieurs enfants sur le thème d'un classique boomerang, vous obtiendrez certainement, après plusieurs heures, une remarque du genre :      "On aimerai bien jouer avec un boomerang, mais qui ne ressemble pas un boomerang".   Les études montrent en effet que les enfants ne sont pas attirés spontanément par les boomerang classiques (en "V") car ils pensent souvent qu'il s'agit d'un jouet nécessitant beaucoup d'entrainement fastidieux et de technicité, et qu'ils n'y arriveront jamais. Le succès des crayons de cire Crayola n'est il pas du au fait qu'il rend l'enfant instantanément fier : l'enfant devient un créateur (même si le dessin est affreux) et il peut être fier auprès de lui même de son entourage. Par opposition, un boomerang classique risque de leur faire craindre d'être ridicule en le lanceant sans jamais arriver à le rattraper. C'est donc, psychologiquement, une bonne piste de vouloir modifier la forme d'un boomerang.   La question soulevée est donc "A quoi doit ressembler ce boomerang qui ne ressemble pas à un boomerang ?"... Même si ca peut être très drole de faire un boomerang en forme de fleur ou de mouton, c'est quand même mieux d'essayer d'être plus "fin" et, en se rappelant que le boomerang est originaire d'Australie, de proposer l'idée de créer un boomerang en forme de Kangourou australien... par exemple.
On retourne donc interroger les enfants :
     "Est-ce que ça vous plairait de lancer un boomerang en forme de Kangourou ?"   Réponse positive des enfants... donc, on continue.   A ce stade, il nous faut un expert... Il faut trouver un "boomeran-tologue", car la conception d'un boomerang fait appel à de nombreuses règles d'aérodynamisme et il est peut être techniquement impossible de créer un tel boomerang. En cherchant cet expert, nous entrons en contact avec l'un des Champions du Monde Français de lancer de Boomerang, Mr Jean-Luc Villani, qui nous informe avoir déjà réfléchi à ce problème et rapidement, je me retrouve dans la voiture, en route vers Metz, pour le rencontrer.   Après avoir parlé du "temps du rève" que constitue le lancer de boomerang pour les aborigènes, Jean-Luc nous explique qu'un boomerang, contrairement à ce que laisse penser le modèle classique en V, peut parfaitement être asymétrique. Un bon point pour la faisabilité.   Cependant, un boomerang asymétrique ne se lancera pas de la même manière si l'on est gaucher ou droitier... il faudra donc prévoir des explications spécifiques pour tous les joueurs. Nous retiendrons ce point important pour la jouabilité. En effet, environ 25% des être humains sont gauchers, donc il n'est pas vraiment réaliste de faire un jouet qui excluerait 25% de la population terrestre ! Tout va bien.... on peut continuer.   Bien nous avions prévu de fabriquer un boomerang en plastique à faible coût, il faut cependant que ce boomerang ne soit pas juste un bout de plastique qui tombe par terre. Nous avons des contraintes de dimensions car le jouet doit être utilisé pour une opération promotionnelle, et il ne doit pas faire une envergure de plus de 20 cm. Il faut donc comprendre & étudier les règles indispensables d'aérodynamisme avant d'espérer fabriquer un "boomerang qui revient" avec toutes ces contraintes de matière (plastique) et de dimensions (20 cm d'envergure maximale).
Heureusement, Jean-Luc nous rassure : le plastique léger (tel que le PP) et les dimensions sont acceptables, mais encore faut il respecter l'aérodynamisme, sinon autant offrir des pierres en guise de boomerang.
  Ouf... on peut continuer sur cette piste. En général, de nombreux projets s'arrêtent à ce stade là... et on jette de très bonnes idées... Pour l'instant, nous pouvons continuer...

Nous choisissons d'utiliser du PP car c'est une matière souple qui peut supporter les chocs. Le boomerang sera soumis à de nombreux lancers et autant de chocs, et il faut qu'il reste entier. Par ailleurs, il ne faudrait pas utiliser une matière qui laisserait des "petites pièces" après chaque choc, car les jeunes enfants pourraient alors les avaler. Ce sont autant de normes à respecter préalablement, dés la conception.
  A ce stade, nous pourrions nous lancer dans des dessins 3D complexes avec des logiciels spécialisés, mais notre mouliste n'a pas besoin d'autant de sophistication sur un produit mono-bloc apparemment aussi simple : l'idéal serait de lui fournir un prototype.
Impossible de le fabriquer en résine: il nous faut une matière légère qui puisse planer & voler.
Il faut pouvoir fabriquer un prototype... qui vole !
  De mon coté, j'explique à Jean-Luc les contraintes techniques liées à la fabrication par injection plastique mais surtout les contraintes liées au respect des normes européennes en vigueur concernant les jouets à lancer et les jouets à projectiles. La tranche (appelée également la "zone d'impact") doit respecter un certain angle et une certaine épaisseur. En effet, un bord trop pointu ou trop fin peut agir comme une lame de couteau lancée en direction d'un enfant. Il y a danger à ce que la personne vers qui le boomerang pourrait être lancé devienne une arme si les bords ne respectent pas certaines règles. Il faut avoir 2 mm de radius sur l'angle de.... Quel jargon mathématique !
Ce ne serait donc pas un "jeu d'enfant" de fabriquer un jeu d'enfant... J'explique donc à Jean-Luc ce que j'ai compris des normes... Il faut être clair pour se comprendre. Je fais quelques croquis. Il semble qu'on se comprenne.
  Peu de temps après, les planches de balsa, achetées à la hâte, défilent sous la meuleuse dans l'atelier de bricolage... Premier prototype raté ! on recommence ! Deuxieme ! On recommence ! Troisième... Heureusement, Jean-Luc manie parfaitement la meuleuse pour donner au balsa l'aérodynamisme indispensable à notre prototype. Vite, on cours dehors l'essayer... je sors ma caméra... Jean-Luc lance le boomerang... qui attérit dans un arbre. On court. Il le relance. Nous sommes devenus des enfants. Il faudrait que ca marche. L'aérodynamisme... il faut corriger certaines choses me dit Jean-Luc.

Créer un jouet : un jeu d'enfant ?

Avec l'aide de Jean Luc Villani, ancien Champion du Monde de lancer de Boomerang, nous sommes en train de développer un nouveau boomerang, en forme de kangourou d'Australie, le pays des aborigènes inventeurs du boomerang.


Créer un jouet : un jeu d'enfant ?



Retour à l'atelier. Retour dans la cours. Caméra. Lancer. Retour. Parfait !!!!
  Le prototype fonctionne !
Jean-Luc est fier, moi aussi. On y croit.

Nous passerons la soirée ensemble à jouer au boomerang, la nuit tombée. De passage chez sa mère pour admirer sa collection, je casse un lustre en testant un "
killing stick", l'ancètre du boomerang chez les aborigènes.

On lance des boomerang tripales lumineux dans la nuit. Il fait nuit. Voiture. Je dois rentrer sur Paris. A bientôt Jean-Luc. Merci encore de tes conseils.

La semaine suivante, je rencontre notre spécialiste des moules. Il faut lui expliquer la forme et les contraintes. Heureusement, j'amène de nombreux croquis démontrant l'aérodynamisme recherché et détaillant le prototype. Explications techniques. On lance un premier moule.
Nous calculons les densités de matière par rapport au balsa & au PP. Tout va bien se passer.
Le prototype sera présenté au laboratoire pour valider le respect "à priori" des normes. Dés leur accord de principe, le moule sera lancé rapidement et l'injection plastique commencera plusieurs jours plus tard. Il faut aller vite pour tenir les délais. Avant de lancer la fabrication en série, il faut le tester en laboratoire, qui recommande quelques modifications. Heureusement, nous avons prévu de faire le moule étape par étape, en avançant petit à petit afin de pouvoir faire les corrections nécessaires par la suite. Nous finalisons le moule.

Je le lance....  en suivant bien les positions de lancer indiquées... et voici la vidéo :


Enfin, la question suivant appelle à un choix de bon sens : Quelle couleur de plastique faut il choisir ? Vert ? Rouge ? Bleu ? Jaune ? Très rapidement, nous tranchons pour le rouge car c'est la seule couleur qui est facile à retrouver lorsqu'on lance son boomerang dans la nature, en plein air. Imaginez la difficulté des enfants (et les pleurs) s'ils n'arrivaient plus à retrouver où est retombé leur boomerang ?
Parmi les marquages légaux, nous devrons apposer le marquage "CE" sur le jouet après avoir obtenu tous les résultats de tests de laboratoire réalisés sur les échantillons prélevés pendant la production, par nos inspecteurs attitrés.   En Europe, le certificat CE est déclaratif. Il suffit que l'importateur imprime CE sur un jouet pour qu'il "prétende" avoir un dossier complet satisfaisant aux normes générales de sécurité. Très souvent, personne ne viendra demander d'explications tant qu'il n'y a pas eu d'accident. Certes, les douaniers vont vérifier s'il y a un semblant de test de laboratoire, mais c'est bien tout ce qu'ils ont le temps de faire avec l'augmentation du transit mondial de marchandises. Trop souvent, le test est fourni par l'usine qui peut, de mauvaise foi, produire un montage photocopié d'un faux test, ou bien un test périmé ou ne correspondant pas exactement au produit transporté. Au final, l'importateur restera le seul responsable de la "mise sur le marché" (c'est le terme consacré)... Tout dépend donc, en réalité, du professionalisme de l'importateur et de sa volonté à contrôler efficacement ses usines, ce qui ne peut se faire sans une forte présence sur place.

Bon vol !

Créer un jouet : un jeu d'enfant ?