Quelle rémunération dans une entreprise libérée ?
Traditionnellement, les salaires sont indexés sur les « compétences » des collaborateurs, compétences que l’on peut globalement retrouver dans la hiérarchie officielle des postes dans l’entreprise. Ce système est tellement ancré dans nos pratiques que même les partenaires sociaux au niveau des branches d’entreprises fonctionnent avec des concepts tels que les « minima salariaux » déterminés selon la position du salarié dans les fameuses « classifications des postes de travail et des qualifications professionnelles » à la française. Nous l’avons acquis donc, sans même nous poser la question : plus on monte, plus on gagne, et inversement.
Mais que se passe t-il lorsqu’il n’y a plus de hiérarchie ? Comment les entreprises libérées, où il ferait si bon travailler, s’y prennent-elles pour reconnaître en espèces sonnantes et trébuchantes les compétences et l’investissement de leurs salariés désormais tous égaux ?
L’ entreprise libérée évite le piège classique du salaire
Pour Isaac Getz, co-auteur avec Brian M. Carney de Liberté & Cie Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises : « Il n’y a rien de plus permanent dans les entreprises traditionnelles que les débats autour des salaires. Les exigences, les revendications, les grèves et la plupart des discussions tournent autour de ça. » A priori, l’ entreprise libérée gagne donc du temps, et par conséquent de l’argent, en supprimant ce sujet classique, sensible et souvent bloquant de la rémunération.
Tous au même salaire alors ?
Bien sûr que non. L’abolition de la hiérarchie ne sonne pas la fin de la rémunération selon les efforts des uns et des autres. L’ entreprise libérée, après tout, veut bien être accusée de tout sauf d’un manquement aussi flagrant au principe d’équité.
Ainsi, Isaac Getz nous informe que les salariés des entreprises libérées sont souvent payés « selon le niveau de formation » et « les responsabilités » et sur la base d’un benchmark des rémunérations habituelles sur tel ou tel métier. Quant à la partie variable du salaire, celle-là même qui ne dépend en théorie que de son investissement personnel, il précise que cela se fait au cas par cas : « on discute la part variable dans le cas où le salarié a réalisé des projets en plus de sa tâche habituelle car il est normal qu’il reçoive une compensation par rapport à son collègue qui n’aura fait que son travail personnel. »
Une fois ces notions fixées, ajoutons que la différence essentielle entre rémunération en entreprise traditionnelle et rémunération en entreprise libérée réside dans le principe de partage des bénéfices entre l’ensemble des collaborateurs. Il en va ainsi chez Poult par exemple, entreprise qui fabrique des biscuits depuis 1883 et libérée depuis 8 ans.
L’ exemple de Poult
Cette entreprise, qui doit une part de sa célébrité à son passage dans le documentaire de Martin Meissonnier, a supprimé son management intermédiaire. Les anciens « chef de ligne » sont donc désormais techniquement au même niveau que les opérateurs de ligne. Une suppression d’un maillon de la pyramide qui a naturellement des répercussions sur le système de rémunération dans l’entreprise. Pour arriver à une certaine équité, Poult a fait discuter ses collaborateurs et procède par essais-erreurs pour identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Camille Panassié, en charge du management de l’innovation, explique ainsi que les primes individuelles n’existent plus mais qu’elles ont été « lissées et intégrées dans le salaire net des salariés ».
Ce qui compte désormais, c’est le travail collaboratif et le but général est « toujours de faire mieux que l’année précédente et d’être bien placé par rapport à la concurrence. »
Lorsque l’entreprise réalise des bénéfices, ceux-ci sont reversés sous forme de primes d’intéressement « identiques pour tous les salariés quel que soit leur salaire ».
Autre élément, les augmentations de salaires des cadres sont déterminées à l’issue de délibérations au sein d’un collectif : « une quinzaine de personnes sont chargées d’évaluer les requêtes déposées via un dossier par chacun » selon des critères sur « le savoir-faire » mais aussi « le savoir-être » des salariés. Toujours dans un but d’objectivité, ce collectif ne connaît pas le montant du salaire de ceux qui réclament une augmentation mais seulement le pourcentage d’augmentation réclamé. Dans le sens inverse, « des propositions d’augmentation peuvent également être faites sans que le salarié sollicite le comité ».
Que l’on s’oppose ou pas à ces méthodes de fonctionnement, nous pouvons reconnaître à l’ entreprise libérée le mérite de soulever une question délicate et d’essayer, à coups d’expérimentations diverses, de construire un système de rémunération juste tout en encourageant la motivation et la performance des salariés.
Références
Interview de Camille Panassié, une collaboratrice de Poult
Documentaire de Martin Meissonnier : Le bonheur au travail
Interview de Isaac Getz, professeur de leadership et de l’innovation à l’ESCP Europe et conférencier international