Travailler à tout prix : Travail, chômage et liberté selon Nicolas Chaboteaux et Cédric Porte

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Travailler à tout prix : Travail, chômage et liberté selon Nicolas Chaboteaux et Cédric Porte

Pour beaucoup, la liberté n’est pas envisageable sans une certaine indépendance financière acquise grâce au travail. En effet, sans marge de manœuvre pécunière, comment faire nos propres choix de vie, prendre certaines responsabilités plutôt que d’autres, bref, jouir d’une relative autonomie ? A ce titre, l’opposition classique du travail comme instrument de libération de l’individu par rapport à divers déterminismes – sociaux en premier lieu – au travail comme processus d’aliénation par rapport à de meilleures formes de réalisation de soi – comme la création artistique par exemple – semble parfois purement théorique. Le schéma type de vie sociale dans nos sociétés modernes tranche déjà le débat en quelques sortes. Il faut, pour la vaste majorité d’entre nous, travailler pour vivre. Mais sur ce sujet, Travailler à tout prix, livre de Nicolas Chaboteaux et Cédric Porte paru en 2015, apporte un nouvel éclairage. Le travail, et la liberté à laquelle il nous fait accéder, en vaut – il toujours la peine ? Les deux auteurs, ayant tous deux connu une période de succès professionnel puis de chômage longue durée avant un retour à l’emploi moins salutaire que prévu, témoignent.

La norme : le travail, c’est la liberté

Cédric a été scénariste à succès et a énormément apprécié ses premières années professionnelles dans la capitale. Professionnellement épanoui, avec un revenu lui permettant de subvenir aux besoins de sa femme et sa fille tout en profitant de la vie nocturne parisienne, le travail, il n’en doutait pas, constitue bien la clé de voûte du bonheur. Parallèlement, Nicolas, aussitôt diplômé d’une grande école de commerce, aussitôt embauché dans le monde des médias et gravant rapidement les échelons pour finalement être chroniqueur à Europe 1, vit également très bien le travail.

Pour les deux co-auteurs, qui ne se connaissent pas encore à ce moment, dans ces vies qui leur paraissent presque des âges d’or aujourd’hui, le travail assurément, c’est la liberté. Cédric Porte le rappelle d’ailleurs dans une interview pour Médiapart : « Sans travail, on n’est plus personne, on est banni de la société. ». Le travail, et son fort effet socialisant, est bien une « espèce de rêve », « de Grâal ».

La limite : plutôt le chômage que l’esclavage

Bientôt, les deux cadres accomplis déchantent. Le premier ne trouve plus de scénarii à écrire. Le second subit un licenciement économique avec la liquidation du journal pour lequel il travaillait. Ne se laissant pas abattre le moins du monde, tous les deux se mettent à sérieusement envisager la suite de leur vie professionnelle. Cependant, Cédric se voit rapidement contraint d’enchaîner et de cumuler les contrats précaires très loin de son domaine d’expertise, dans la distribution alimentaire par exemple. Après que sa femme soit partie avec sa fille et après s’être fait expulsé de son logement quatre jours avant la trêve hivernale, il se retrouve à la rue. Nicolas, lui, passe plusieurs mois à s’interroger sur ce qu’il rêverait de faire et se lance dans l’aventure entrepreneuriale, en vain, sa startup ne survivant pas. Les co-auteurs perdent ainsi beaucoup de plumes tant sur le plan professionnel que personnel et après plusieurs années de chômage retrouvent, plus heureux que jamais, un CDI dans une PME francilienne.

Seulement voilà : « Bienvenue chez MSS, une PME dirigée par une patronne, façon tyran nord-coréen. Ici, règne le management par la terreur : délation, humiliation, contrôle absolu de l’individu. Cédric et Nicolas troquent un enfer contre un autre, plus pernicieux, plus violent. Mais que faire ? Le travail, leur bouée de sauvetage, les attire vers le fond… »[1]

Le témoignage s’attache dès lors à montrer les mécanismes que Mme Sentenza, patronne de MSS, emploie sans modération pour soumettre psychologiquement ses salariés. Echangeant automatiquement leurs noms pour un trigramme à l’arrivée dans l’entreprise (Cédric devient ainsi CPO), installé chacun à un bureau avec un téléphone dont l’usage leur est interdit et qui ne doit servir qu’à recevoir les appels directs de la patronne, subissant des séances de punching ball tous les matins et des insultes quotidiennes…

L’histoire fourmille de détails factuels tous plus hallucinants les uns que les autres. Mais grâce au ton humoristique que peuvent prendre les co-auteurs aujourd’hui sortis de ce cauchemar, le message passe : il ne faut jamais oublier de raisonnablement replacer le curseur entre travail et liberté, a fortiori dans le contexte actuel de crise économique et de chômage de masse. La réflexion est ouverte pour le lecteur, sans l’écraser d’angoisse face aux difficultés familières et modernes des deux « camarades de galère ». Si Nicolas a retrouvé du travail depuis la parution du livre, Cédric, lui, continue ses recherches. Dans un cas comme dans l’autre, une chose est sûre : le prix du travail ne vaut pas celui de la liberté.


Références

Travailler à tout prix

https://www.youtube.com/watch?v=RH4bz2VGQFE

http://www.economiematin.fr/pdf.php?q=travail-burnout-fatigue-depression-suicide

[1] Extrait du résumé du livre