Qui n'a jamais entendu parler d'ubérisation, ce nouveau terme très en vogue car cristallisant un phénomène charnière de nos societes et nous économie ? Officiellement, l'ubérisation désigne la mise en relation hautement rapide de clients avec des prestataires de services au moyen des nouvelles technologies digitales et surtout, à la demande. Le néologisme finit logiquement par être associé aux évolutions actuelles des modes de travail et soulève ainsi de nombreuses questions chez les travailleurs, les employeurs comme chez les experts du droit du travail.
L'auto-entrepreneuriat comme modalité d'embauche ?
L'économie collaborative (où des particuliers partagent et/ou mettent leurs ressources et compétences à disposition contre rémunération) et l'économie de la demande (comprise comme une économie de l'instantanéité et de la tendance à l'adaptation en quasi temps réel de l'offre à la demande) sont deux pans de l'économie nationale et mondiale qui s'entrecoupent et partagent un certain nombre de problématiques. Ainsi, de plus en plus de societes naissantes se saisissent des opportunités du numérique pour fonder leur business model sur la creation d'une plateforme de mise en relation entre clients et prestataires. Ces sociétés, pour être en conformité avec la loi - soit ne pas faire travailler des personnes non déclarées - peuvent notamment demander à l'une des parties prenantes que sont les futurs prestataires de se déclarer auto-entrepreneurs.
Prenons l'exemple de Deliveroo, société de livraison de proximité et à domicile de plats issus de restaurants classiques, qui s'inscrit parfaitement dans cette situation. La société a officiellement pour mission de permettre la mise en relation des différentes parties prenantes (client, livreur, restaurateur). Or, pour travailler en tant que livreur (et recevoir la formation et le matériel nécessaires), il faut avoir ce statut d'auto-entrepreneur. " On est payé à la livraison... " raconte Thomas, étudiant et livreur occasionnel pour Deliveroo. " On n'a aucune indemnisation en cas de pépin. Pour moi, c'est comme un job étudiant, donc j'en suis relativement peu dépendant." Pour Rémi, livreur sur le même créneau que Thomas, c'est une autre histoire : " Moi je suis chômeur, donc j'ai besoin de ces tournées pour vivre. Ça m'arrive d'attendre la commande pendant longtemps sur mes créneaux, et les jours où il n'y a rien, on nous donne aucune compensation pour notre mobilisation... " Par ailleurs, du point de vue de l'entreprise, si " l'auto-entrepreneur " refuse les commandes de livraisons, elle se retrouve potentiellement lésée.
Et si l'auto-entrepreneuriat devenait une modalité d'embauche ? La question est posée par Sarah Abdelnour dans Le travail indépendant. Statut, activités et santé sous la direction de Sylvie Celérier (éditions Liaisons, Centre d'Études de l'Emploi, 2014). Si tel était le cas, cela s'effectuerait " bien loin du cadre protecteur du droit du travail. "
Un nouveau statut ?
L'absence de modèle hybride entre salariat et indépendance présente donc des risques pour le travailleur qui ne bénéficie pas de protection sociale comme pour l'entreprise qui non seulement s'appuie sur une flotte tellement flexible qu'elle peut circonstanciellement lui faire défaut, mais qui peut également être condamnée à des versements de dommages et intérêts pour travail dissimulé.