2030 selon Keynes
En 1930, l’économiste britannique John Meynard Keynes publie sa « Lettre à nos petits enfants » dans laquelle il livre une réflexion prospective sur l’avenir du capitalisme. Il y décrit sa vision du monde un siècle plus tard, en 2030.
Keynes y prédisait la semaine de 15h, la fin de la « lutte pour la subsistance » et l’émergence d’une société d’abondance dans laquelle les « besoins absolus » de l’homme seraient assouvis, la fin d’une société gouvernée par l’économie au profit des valeurs humaines et le travail comme source de plénitude et de réalisation de soi. A 13 ans de l’échéance, faisons donc le bilan…
Selon Keynes, le capitalisme serait un régime transitoire, nécessaire pour rompre avec l’état de rareté qui aliène l’Homme. Une fois qu’il aurait satisfait les besoins essentiels de l’individu, le capitalisme serait amené à disparaitre afin de permettre à l’Homme de se recentrer sur son propre développement. Cela serait d’autant plus nécessaire que le capitalisme perverti l’Homme en le rendant incapable de s’ancrer dans le présent et en cultivant la cupidité.
Les économies européennes entreraient dans cette phase de transition au début du XXIe siècle, à une période où les évolutions technologiques auront permis des gains de productivité suffisants pour libérer progressivement l’Homme de la nécessité de produire. Keynes craignait même que cette période de découverte de l’oisiveté et de « réajustement des habitudes et des instincts que devra effectuer l’homme moyen » ne se traduise par « une dépression nerveuse collective ».
Alors que la production des pays développés a été multipliée par quatre depuis les années 1930, la satisfaction des besoins essentiels n’a pas conduit à une disparition du capitalisme ou une réduction aussi importante du temps de travail. A l’inverse, les bribes de dépression nerveuse collective qui existent dans le monde contemporain sont davantage le fait du surmenage que de l’oisiveté.
Comment expliquer un tel écart entre les prédictions de Keynes et la réalité ?
Bien que le développement personnel ou l’ascétisme soient des valeurs éminemment contemporaines, nous n’avons pas été capables de nous contenter de la satisfaction de nos besoins primaires. Est-ce uniquement l’amour de l’argent ou bien encore à la création des nouveaux besoins ?
Et si Keynes avait sous-estimé l’importance de la croissance qualitative ? Bien que le temps de travail ne se soit pas réduit aussi spectaculairement qu’il le prédisait, l’amélioration des conditions de travail a été considérable. De même, le renouvèlement de la demande s’explique pour partie par l’amélioration continue de la qualité de l’offre.
Cette œuvre, au croisement de l’économie et de la philosophie, fait profondément écho aux réflexions contemporaines. Il enjoint notamment l’Homme de 2030 à tirer les leçons des sociétés humaines qui l’on précédent afin d’ « utiliser l’abondance nouvelle tout autrement » ; en construisant un « projet de vie très différent du leur ».